Il y a quinze ans, la Grèce confessait un gouffre budgétaire dissimulé : plus de 15% du PIB de déficit, des comptes trafiqués et un État qui avait vécu au-dessus de ses moyens. Les cambistes se sont affolés, les taux ont flambé, Athènes a dû choisir entre l’austérité et le défaut. Aujourd’hui, le même schéma se dessine en France : dette publique à 113% du PIB fin 2024, déficit de 5,8%, intérêts annuels déjà supérieurs au budget de la Défense et chômage qui explose en pleine conférence de presse ministérielle où l’on parle encore de « hausse modérée »…
L’analogie n’est plus un simple trait d’humour ; elle ressemble plutôt à un copier-coller, mais en format XXL. Car si la Grèce pesait 2% de l’économie de la zone euro, la France approche 20%. Autrement dit : si l’Acropole toussait, personne ne sortait les masques ; si la Tour Eiffel vacille, tout le quartier financier européen peut se retrouver en quarantaine.
La dette : une boule de neige devenue avalanche
Selon l’Insee, la dette nette des administrations atteignait déjà 3 062,9 milliards d’euros fin 2024, soit 104,7% du PIB, mais l’horloge de la dette calcule en parallèle un ratio Maastricht (brut) plus élevé car il inclut les garanties et emprunts récents : 113% en 2024 et une trajectoire à 118% dès fin 2025.
Chaque seconde ajoute environ 6 600€ d’ardoise. Plus percutant encore : la charge d’intérêts frôle 58 milliards en 2024, dépassant déjà les crédits militaires hors pensions et devenant le deuxième poste budgétaire de l’État. À ce rythme, elle tangente 72 milliards en 2027, autant que l’Éducation nationale. Autrement dit, la République finance deux armées : celle qui porte un treillis, et celle qui sert des coupons aux créanciers.
En coulisse, les agences de notation commencent à trouver le spectacle lassant : Moody’s a placé la note française sous perspective négative dès octobre 2024, estimant qu’aucune « correction budgétaire crédible » n’est engagée. Autant dire que la prochaine hausse de taux d’OAT pourrait faire passer le service de la dette au rang de premier budget dès 2026.
Bruxelles : le pompier sans la lance
Bruxelles a officiellement enclenché la procédure pour déficit excessif contre Paris au printemps 2024, aux côtés de six autres pays. Ce rappel à l’ordre n’a, pour l’instant, débouché sur aucun calendrier ferme de réduction du déficit. Pendant ce temps, la Banque centrale européenne répète que « la France doit rétablir la discipline budgétaire » — injonction aussitôt digérée dans les communiqués gouvernementaux sous forme de bonnes intentions floues.
On revit la scène grecque : l’UE sermonne, repousse les échéances, revient sermonner… jusqu’au jour où les marchés, eux, n’attendent plus la prochaine note de service.
Chômage : le thermomètre casse, le ministère cherche un nouveau modèle
La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) signale une hausse de 8,7% des inscrits en catégorie A en trois mois (+273 100 personnes). Même en neutralisant l’effet mécanique de l’enrôlement automatique des allocataires du RSA, la hausse demeure : + 5,4%.
L’économiste Marc Touati épingle la gymnastique sémantique des autorités. La plupart des grands médias ont titré « hausse modérée », comme si un incendie de forêt se résumait à un barbecue trop ardent. La file d’attente totale, catégories A à E confondues, dépasse désormais 6,5 millions de personnes — chiffre supérieur à la population du Danemark. Or la barre des 900 000 jeunes de moins de 25 ans sans emploi vient d’être franchie : une file de CV longue comme l’A1 un week-end de chassé-croisé.
Les causes ? Activité au ralenti, faillites record (+10% vs 2009, données Banque de France citées par Touati), plans sociaux qui se multiplient, fiscalité instable, coût du travail lourd et formation inadaptée. Le cocktail parfait pour un marché du travail qui se grippe… puis se soude.
Statistiques maquillées : Dupond-Moretti en D’Artagnan des tableurs
Les calculs français s’apparentent au « creative accounting » hellénique d’avant 2009 : reclassement des demandes d’emploi, inclusion sélective d’organismes publics hors périmètre budgétaire, et optimisme débridé des prévisions macro. Lorsque l’Insee publie + 0,1% de croissance, les indicateurs avancés (PMI) traînent sous le seuil 50 pendant des mois. L’économie réelle rappelle chaque jour que les tableurs ne fabriquent pas d’emplois.
Cette pratique n’est pas neuve : la Grèce sous le gouvernement Karamanlis minorait déjà ses déficits depuis 2001 en les maquillant via des swaps de change. La France a choisi la méthode PowerPoint : présenter des « horizons » de retour sous 3% de déficit à chaque programme de stabilité, puis repousser l’objectif d’un an chaque printemps.
Dépenses publiques : open bar permanent
Les dépenses de fonctionnement des administrations publiques ont bondi de 100 milliards entre 2021 et 2024, soit deux fois l’inflation. L’exécutif annonce maintenant 40 milliards d’économies, dont 2 à 3 milliards viendraient de la suppression d’un tiers des agences d’État. Autrement dit : on cherche des centimes dans le canapé pendant que la maison prend l’eau.
Fraude : la fourchette parlementaire varie de 80 à 100 milliards par an, de quoi couvrir la moitié du déficit sans lever le petit doigt des contribuables honnêtes. Pourtant, l’observatoire de la fraude annoncé en 2018 n’a jamais vu le jour. Il fallait sans doute une énième commission pour évaluer l’opportunité de la créer.
Anatomie d’une hécatombe : quatre points de contact franco-grecs
Grèce 2009 | France 2025 | Impact probable |
Déficit soudainement révisé à >15% du PIB | Déficit maintenu > 5% cinq ans d’affilée | Méfiance des créanciers se généralise |
Dette à 127% du PIB | Dette à 113%, trajectoire 118% | Prime de risque en hausse, agences de notation sur le qui-vive |
Statistiques budgétaires retouchées | Révisions permanentes des hypothèses macro et redécoupage d’organismes | Perte de crédibilité vis-à-vis des investisseurs |
Fraude fiscale structurelle | Évasion estimée à 80-100 Mds€/an | Moindre recettes, dépendance accrue à l’emprunt |
Les curseurs français partent de plus haut ; si la réaction politique reste aussi molle que durant la dernière décennie, le point de rupture arrivera plus vite qu’en Grèce.
Que fait Bruxelles ?
À Athènes, l’UE avait sorti dès 2010 une chimiothérapie budgétaire. À Paris, elle temporise : pas de « troïka », mais des lettres d’observation et des conférences de presse. Pourquoi ? Parce que toucher la France, c’est risquer l’implosion de la zone euro. Les autorités européennes jouent donc la montre : elles espèrent un sursaut interne, tout en préparant discrètement un mécanisme de contrôle renforcé qui ne dira pas son nom.
Trois scénarios pour les deux prochaines années
- Le surplace organisé
Paris obtient un calendrier de réduction du déficit étalé sur cinq ans. Le gouvernement bloque partiellement l’indexation des prestations, gèle des crédits et multiplie les taxes temporaires. Les taux montent quand même, la croissance s’éteint ; l’addition finale n’est pas payée, seulement décalée. - Le coup de massue
Downgrade de Moody’s ou S&P, tension immédiate sur les emprunts à dix ans. Les marchés exigent un plan d’économies immédiat. Le gouvernement taille dans les dépenses sociales, relève la TVA d’un point et repousse l’âge de départ en retraite. Colère sociale, blocages, recul de la consommation : l’effet récessif annule la moitié des gains budgétaires. - La cure de vérité
Audit indépendant ligne par ligne, gel des dépenses de fonctionnement pendant trois ans, élargissement de l’assiette fiscale pour mettre fin à la multitude de niches, réforme d’une fiscalité locale illisible. Mesure brutale, mais crédible auprès des créanciers. Politique explosive… pourtant la seule qui ait une chance de stabiliser la trajectoire.
Et les citoyens français dans tout cela ?
Depuis un moment, le contribuable français est un peu comme un passager d’avion que l’on félicite d’avoir bien attaché sa ceinture pendant que le pilote annonce un plan de vol sans kérosène.
Les ménages ont déjà vu passer :
- La taxe carbone verte puis annulée,
- La taxe d’habitation supprimée pour 95% d’entre eux puis ressuscitée sous forme de contribution « services publics »,
- La promesse d’une « flat tax » stabilisée, déjà revisitée côté dividendes,
- Et, cerise sur le gâteau, un suspense permanent sur les abattements de retraite.
La situation rappelle la période grecque 2010-2012 où la TVA avait été relevée trois fois en deux ans et les salaires du public abaissés quatre fois. La différence ? Les Français disposent d’une épargne plus élevée (près de 17% du revenu disponible), que l’État lorgne déjà : assurance-vie, livrets réglementés, participation salariale. Planquez vos sous !
Mieux vaut en rire qu’en pleurer
Un conseiller ministériel affirmait récemment : « Notre trajectoire budgétaire est sous contrôle. » La phrase rappelle le passager du Titanic qui, voyant l’orchestre jouer, conclut que la situation n’est pas si grave puisqu’il y a de la musique. Des icebergs ? « Un problème statistique », répondrait-on avenue de Ségur.
La Grèce a découvert à ses dépens qu’une comptabilité cosmétique finit toujours par passer sous le rouge et que la confiance perdue coûte plus cher que tous les plans de rigueur combinés. La France, elle, file sereinement dans le même mur.
Les responsables ne se cachent pas dans les files d’attente de Pôle Emploi ; ils se trouvent dans les cabinets ministériels et les couloirs feutrés de Bruxelles. Les citoyens, eux, portent déjà la facture — fiscalité record, services publics délabrés, épargne assiégée.
Connexe : Budget en faillite, État en surcharge : il est temps d’alléger la fonction publique
Sources : Horloge de la Dette Publique, Sénat, Le Monde, Moody’s, Insee, Dares, Représentation en France, Conseil de l’Union européenne, Assemblée Nationale
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