Budget en faillite, État en surcharge : il est temps d’alléger la fonction publique

Publié le - Auteur Par Tony L. -
Budget en faillite, État en surcharge : il est temps d’alléger la fonction publique

« Les ponctionnaires se goinfrent sur notre dos, ça suffit ! » clame sans détour l’économiste Philippe Herlin sur le réseau X.com, exprimant un ras-le-bol face à l’inflation constante des effectifs publics. Cette formule choc illustre une frustration croissante devant la part de plus en plus élevée des fonctionnaires dans la population active française et l’élargissement du rôle de l’État. Depuis le début des années 2000, le poids de la fonction publique n’a cessé de s’alourdir, entraînant mécaniquement un besoin toujours accru de personnel public. Cette dynamique pose la question d’un cercle vicieux budgétaire : davantage de fonctionnaires signifie davantage de dépenses, donc potentiellement plus de dettes dans un contexte où la dette publique atteint des sommets historiques. Pendant ce temps, les Français ont le sentiment de s’appauvrir sous le poids des impôts et d’un État toujours plus omniprésent.

Une fonction publique en expansion constante

Depuis le début des années 2000, les effectifs de la fonction publique française connaissent une progression soutenue. Fin 2022, on recensait environ 5,7 millions de fonctionnaires dans les trois versants de la fonction publique (État, collectivités locales, hôpitaux), soit 1 055 000 de plus qu’à la fin de 1997 (+23%) alors que les effectifs du secteur privé n’augmentaient « que » de 18% sur la même période. Autrement dit, l’emploi public a crû plus vite que l’emploi privé et même que la population (+14%). La conséquence directe est un alourdissement de la part des fonctionnaires dans l’ensemble des actifs : celle-ci est passée d’environ 19,7% de l’emploi total en 1997 à 20,6% en 2020, avant de redescendre légèrement à 20,1% en 2022​ – un niveau historiquement élevé, proche d’un actif sur cinq.

Cette expansion s’est produite malgré plusieurs inflexions ponctuelles. Durant les années 2007-2012, on a observé un quasi-gel, notamment sous le quinquennat Sarkozy où la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a fait stagner puis légèrement baisser les effectifs de l’État​. Mais le mouvement de hausse a repris ensuite : sur la seule période de 2017 à 2022, l’effectif total a encore grimpé de +178 000 agents. L’augmentation est particulièrement marquée dans la fonction publique territoriale, gonflée par les vagues de décentralisation et l’accroissement des compétences locales : les collectivités locales emploient aujourd’hui 46% de personnel de plus qu’en 1997. La fonction publique hospitalière a également crû de 36% sur cette période​, notamment en raison des besoins de santé et des réductions du temps de travail (35 heures) au début des années 2000. En comparaison, la fonction publique d’État stricto sensu n’a augmenté « que » de 7% depuis 1997, reflet de certaines politiques de rationalisation limitées à l’État central.

Cette hausse des effectifs s’est accompagnée d’une envolée de la masse salariale publique. Le coût des rémunérations des fonctionnaires pèse de plus en plus lourd dans les dépenses de l’État et des collectivités. À titre d’illustration, la masse salariale des seuls fonctionnaires de l’État a atteint 107 milliards d’euros en 2024, en hausse de 6,7% par rapport à 2023 alors même que l’inflation retombait autour de 2% sur l’année​. Autrement dit, les dépenses de personnel public ont augmenté trois fois plus vite que les prix : une progression nette du pouvoir d’achat (et du coût) des agents publics, financée par le budget public. Cette hausse s’explique par le dégel du point d’indice des fonctionnaires (après des années de quasi-gel des salaires), des revalorisations catégorielles et des recrutements ciblés. Mais elle illustre un trend de fond : les rémunérations publiques augmentent durablement plus vite que la richesse nationale, faisant grimper leur part dans le PIB. D’après la fondation iFRAP, une think tank libérale, la masse salariale publique représentait environ 13% du PIB en 2019 (cotisations sociales comprises), contre 12,6% en 1980 – un glissement apparemment modeste, mais qui correspond à des dizaines de milliards supplémentaires chaque année compte tenu de la taille de l’économie française.

Un cercle vicieux budgétaire : dépenses, dette et appauvrissement

Le problème d’une fonction publique pléthorique ne se limite pas à son poids dans l’emploi ; il s’agit surtout de son impact budgétaire. Plus de fonctionnaires, c’est plus de salaires à verser chaque mois, plus de pensions à assurer sur le long terme, et souvent plus de fonctionnement et de structures administratives à financer. Or, la France est déjà engluée dans des déficits publics chroniques depuis des décennies. Chaque augmentation de la masse salariale publique creuse un peu plus le déficit si elle n’est pas compensée par des gains de productivité ou des hausses d’impôts, et vient ainsi nourrir une dette publique déjà gargantuesque.

Cette situation aboutit aujourd’hui à une dette publique explosive. Les derniers chiffres officiels font état d’une dette française atteignant 3 305 milliards d’euros fin 2024, soit environ 113% du PIB​ – un record absolu hors période de guerre ou crise majeure. Rien qu’en 2024, l’endettement public s’est accru de 203 milliards supplémentaires​, preuve que nous vivons largement « à crédit ». Philippe Herlin, dans son exclamation provocatrice, vise justement cette idée que nous nous appauvrissons collectivement à force de financer un État obèse : la dette n’est rien d’autre qu’un impôt différé, dont le poids retombe tôt ou tard sur les contribuables. En effet, qui dit dette dit intérêts à payer : avec la remontée des taux d’intérêt ces dernières années, le service de la dette coûte de plus en plus cher au budget de l’État (on parle de 50 à 60 milliards d’euros par an versés aux créanciers, soit autant d’argent qui n’améliore en rien les services publics actuels, car il paie les dépenses passées). Ces dizaines de milliards d’euros d’intérêts annuels sont autant de ressources prélevées sur les Français (par l’impôt ou l’inflation monétaire) qui ne vont ni dans leur pouvoir d’achat ni dans des investissements d’avenir, mais servent essentiellement à rembourser la générosité d’hier. Comme le résume le Premier ministre François Bayrou, la dette est devenue le grand « ennemi national »​.

Le cercle vicieux se dessine ainsi nettement : une fonction publique pléthorique alourdit les dépenses, qui aggravent les déficits, ce qui gonfle la dette, dont le fardeau (intérêts, future austérité ou impôts accrus) appauvrit la population ou du moins pèse sur la croissance économique. Or, cet appauvrissement relatif des Français est palpable. Bien que la dépense publique atteigne des sommets (les dépenses publiques représentent près de 57% du PIB en 2024, et la France est « championne du monde des impôts » avec un taux de prélèvements obligatoires de 46,1% du PIB en 2022), le pouvoir d’achat peine à progresser. Les périodes de forte inflation récente (2022-2023) ont même entraîné une baisse du revenu disponible moyen en termes réels. En clair, les Français payent déjà beaucoup et s’endettent collectivement, sans ressentir d’enrichissement, bien au contraire. La boucle est bouclée : lorsque la « vache à lait » des contribuables ne suffit plus, on emprunte en leur nom – ce qui prépare des jours difficiles, entre hausse future des taxes et réductions forcées des prestations.

Pire, cette mécanique semble auto-entretenue par des intérêts clientélistes. À chaque alternance politique, les gouvernants promettent de maîtriser les dépenses, mais rares sont ceux qui osent véritablement réduire les effectifs publics – car toucher à la fonction publique, c’est s’aliéner une partie de son électorat et affronter des syndicats puissants. Les élus locaux, de leur côté, hésitent à rationaliser des services qui profitent à leurs administrés (et employés municipaux) par crainte d’un coût électoral. Ce blocage politico-social maintient le statu quo et repousse les mesures d’assainissement, rendant la situation de plus en plus intenable. Chaque année sans réforme rend la suivante encore plus difficile, car la masse salariale « incompressible » augmente et la dette accumulée aussi – réduisant d’autant les marges de manœuvre. Comment briser cet engrenage ? Certaines voix s’élèvent en France même, et des regards se tournent aussi vers l’étranger pour trouver des pistes de recentrage de l’État.

L’exemple américain sous Trump : un État recentré grâce au D.O.G.E.

Dans la quête de solutions pour réduire la voilure d’un État hypertrophié, les regards se tournent vers l’exemple américain, notamment sous la nouvelle présidence de Donald Trump. Celui-ci avait déjà affiché une philosophie claire de réduction de l’État fédéral sous son mandat précédent, avec le slogan implicite de « faire plus avec moins » de bureaucratie. Concrètement, dès son arrivée au pouvoir, Trump avait instauré un gel des embauches dans la fonction publique fédérale et demandé à chaque agence de préparer des plans de réductions d’effectifs​. Cette politique s’est traduite par des baisses sensibles dans de nombreux départements ministériels à Washington.

Mais le « modèle américain » ne se limite pas à licencier des agents publics. C’est aussi une philosophie plus large de recentrage de l’État sur ses missions essentielles et de partenariat accru avec le secteur privé pour les autres fonctions. Un exemple emblématique est celui de la conquête spatiale : traditionnellement, l’envoi d’astronautes ou de satellites reposait sur les fusées développées par la NASA (agence publique). Or, au cours de la dernière décennie – tendance encouragée sous Trump –, la NASA a externalisé une partie de ses besoins vers des acteurs privés comme SpaceX, la société d’Elon Musk. Le résultat a été spectaculaire : en quelques années, SpaceX est parvenu à fournir des lanceurs réutilisables à bas coût, permettant à la fois de transporter du matériel pour la NASA et d’envoyer des équipages dans l’espace (Crew Dragon) pour une fraction du coût des navettes spatiales précédentes. Il est généralement reconnu par les observateurs que SpaceX, avec ses fusées partiellement réutilisables, a réussi une réduction majeure des coûts de lancement orbital​. Cette baisse des coûts profite indirectement au budget fédéral : chaque lancement confié au privé évite à la NASA de devoir financer en interne le développement d’un lanceur équivalent, ce qui aurait coûté beaucoup plus cher aux contribuables américains. En somme, la collaboration public-privé dans un secteur technologique de pointe a démontré qu’un acteur privé pouvait remplir avec succès une mission d’intérêt général (l’accès à l’ISS, aux satellites, etc.) autrefois réservée au secteur public, avec plus d’efficacité et d’économies à la clé.

C’est dans ce contexte qu’est né le Department of Government Efficiency (D.O.G.E.) sous le nouveau mandat de Trump, chargé de traquer les gaspillages et de remettre de l’ordre dans les finances publiques fédérales. Mis sur pied par décret dès le premier jour du second mandat de Donald Trump, le D.O.G.E.—conçu lors d’échanges avec Elon Musk—s’affiche comme le « chasseur de graisse » de la bureaucratie fédérale, rattaché directement à la Maison-Blanche et doté d’un budget d’environ 40 millions de dollars. Armé d’un accès intégral aux bases de données de l’OPM, de la GSA et de la Social Security Administration, le D.O.G.E. ordonne un gel des embauches, décortique chaque ligne de dépense et peut préconiser la disparition d’agences entières. En 100 jours, il affirme avoir désactivé près de 470 000 cartes bancaires gouvernementales, supprimé 260 000 postes et rapatrié 160 milliards de dollars, notamment via l’annulation de 402 subventions DEI considérées comme superflues. Au-delà de cette cure d’amaigrissement, l’entité se veut antidote contre les pots-de-vin : registre numérique traçant chaque contrat, contrôles aléatoires des factures, révocation automatique des agents convaincus de malversations. La communication officielle revendique déjà un milliard de dollars d’économies quotidiennes.

Ce modèle offre une piste de réflexion intéressante pour les démocraties occidentales engluées dans le statu quo : et si la solution passait par un certain désengagement de l’État et une responsabilisation accrue du secteur privé, sous contrôle mais sans micro-gestion ?

Recentrer l’État pour éviter la faillite : une nécessité occidentale

En définitive, le constat est de plus en plus partagé que la trajectoire actuelle n’est pas soutenable pour des pays comme la France. Une part croissante de fonctionnaires dans l’emploi, couplée à une dette hors de contrôle et à des intérêts corporatistes qui freinent toute réforme, conduit à une impasse. « Ça suffit ! » disait le coup de gueule initial : ce cri du cœur traduit la nécessité de rompre avec la facilité consistant à augmenter sans cesse la voilure de la fonction publique. Bien sûr, l’État a un rôle crucial et légitime à jouer dans de nombreux domaines, et la qualité des services publics dépend aussi des agents qui les font vivre. Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur chaque fonctionnaire, souvent dévoué à sa mission, mais de questionner la taille optimale de l’État. Jusqu’où peut-on augmenter le nombre d’agents publics, les dépenses de personnel et les interventions étatiques avant que cela ne nuise plus que cela ne serve le bien commun ?

Le cas américain sous Trump – malgré toutes les différences culturelles et politiques – montre qu’un gouvernement déterminé peut inverser la tendance, au moins partiellement, et réduire le poids de l’administration. La France semble arriver à son tour à l’heure des choix douloureux. Dans un pays rongé par la dette, reprendre le contrôle des finances publiques est vital pour éviter une crise majeure à terme (explosion des taux, banqueroute partielle ou mise sous tutelle par les créanciers). Or, on ne pourra maîtriser la dépense sans s’attaquer au premier poste budgétaire qu’est la masse salariale. Il faudra surtout vaincre les résistances clientélistes en expliquant pédagogiquement aux citoyens que maintenir artificiellement des emplois publics inutiles ou des privilèges insoutenables conduit à terme à appauvrir tout le monde. À cet égard, l’appel à un « recentrage » de l’État n’est pas un discours anti-service public, mais au contraire la condition de sa pérennité : un État plus sobre, recentré sur ses fonctions stratégiques (régalien, éducation, santé, transition écologique…), sera plus efficace et plus soutenable qu’un État tentaculaire qui s’occupe de tout mais mal. C’est le prix à payer pour sortir de l’ornière et permettre à la France de renouer avec un avenir plus serein, où l’État reste fort dans ses missions clés sans pour autant peser de tout son poids sur les épaules de la nation.

Connexe : Courbe de Laffer : pourquoi la surtaxation menace l’avenir de la France

Sources : FIPECO, Le Figaro, Le Monde, Le Point, C.M. (AFP), naudrh.com, Eric Katz, Pierre Lionnet , Newsweek, 2023.

Par Tony L.

Passionné de technologie, Tony vous propose des articles et des dossiers exclusifs dans lesquels il partage avec vous le fruit de ses réflexions et de ses investigations dans l'univers de la Blockchain, des Cryptos et de la Tech.

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