Dette publique : l’aveuglement organisé de nos dirigeants

Publié le - Auteur Par Tony L. -
Dette publique : l’aveuglement organisé de nos dirigeants

Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes

La dette publique de la France n’a cessé d’augmenter depuis 2017, malgré les discours officiels sur la responsabilité budgétaire. Fin 2017, la dette publique s’établissait à 2 218,4 milliards d’euros, soit 97% du PIB​. À la fin de l’année 2020 – après le choc de la crise du COVID – elle atteignait 2 650,1 milliards d’euros, soit environ 115% du PIB​. Et selon les derniers chiffres officiels pour le quatrième trimestre 2024, la dette grimpe à 3 305,3 milliards d’euros, environ 113% du PIB​. En clair, en l’espace de sept ans, plus de 1 000 milliards d’euros supplémentaires se sont accumulés sur le dos des finances publiques, faisant bondir le ratio d’endettement d’environ 98% à plus de 113% du PIB.

Cette envolée se traduit visuellement par une courbe qui n’en finit plus de monter. Certes, il y a eu une “marche d’escalier” en 2020 due à la gestion catastrophique de la crise Covid (un saut d’environ 16 points de PIB en un an)​. Mais même hors période de crise, la trajectoire est restée orientée à la hausse. Les années de reprise économique 2017-2019 n’ont vu aucune baisse significative du poids de la dette – tout juste une stabilisation autour de 97-98% du PIB en 2018-2019, alors que la croissance était revenue. En 2022-2023, malgré la fin de la crise Covid, la dette est restée à des niveaux records (≈110% du PIB) sans vraiment refluer​. Autrement dit, la France a manqué l’occasion de “réparer le toit quand le soleil brillait” : pendant les bonnes années, la dette n’a pas été réduite, et pendant les années de crise… elle a explosé.

Dépenses publiques : la frénésie du carnet de chèques

Comment en est-on arrivé là ? Principalement par une dépense publique hors de contrôle, couplée à des recettes insuffisantes. En 2024, la dépense publique française représente environ 58% du PIB, un niveau « hypertrophié » croissant deux fois plus vite que la richesse nationale​. Depuis 2017, l’exécutif a multiplié les chèques à plusieurs milliards, souvent sans économies en face. Parmi les mesures les plus coûteuses de la période, on peut citer :

  • ≈ 17 milliards d’euros déboursés fin 2018 pour apaiser la crise des Gilets jaunes (prime d’activité revalorisée, annulation de taxe carbone, aides diverses, etc.)​. Ces concessions, nécessaires politiquement pour calmer la colère sociale, ont alourdi durablement les dépenses et creusé le déficit de 2019, le pire est que ces dépenses n’ont rien résolu.
  • ≈ 20 milliards d’euros par an perdus pour le budget de l’État avec la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales (une promesse de 2017 finalement étendue à tous les ménages) – manque à gagner entièrement compensé aux communes par l’État, donc financé par la dette​. Cette baisse d’impôt populaire n’a cependant pas été financée par des réductions équivalentes de dépenses, ce qui aurait pourtant dû être évident, laissant au final un trou durable dans les caisses.
  • ≈ 235 milliards d’euros engagés sous le mantra du « quoi qu’il en coûte » : plans d’urgence Covid (prise en charge du chômage partiel, fonds de solidarité aux entreprises, etc. pour ~79 Mds€) et plan de relance post-confinement (~70 Mds€) en 2020, suivis des dépenses anti-crise énergétique en 2021-2022 (bouclier tarifaire sur l’électricité et le gaz, remise carburant, chèques énergie pour ~86 Mds€)​. Si ces interventions exceptionnelles nous ont été présentées comme nécessaires pour éviter l’effondrement de l’économie, elles ont été en réalité les pires mesures de l’histoire et ont réussi à creuser la dette à un rythme inédit.
  • ≈ 20 milliards d’euros de mesures “pouvoir d’achat” en 2022 (loi pouvoir d’achat post-Covid et pré-électorale) : revalorisation anticipée des retraites et prestations sociales, hausse du point d’indice des fonctionnaires, suppression de la redevance TV, aides anti-inflation pour les ménages, etc. Là encore, ces largesses ont été financées à crédit, dans un contexte d’inflation galopante où les candidats à la présidentielle rivalisaient de promesses dans un show politique cynique et irresponsable.

À ces chèques sans fins s’ajoutent d’autres engagements coûteux : le plan d’investissement France 2030 (54 Mds€ annoncés) pour préparer l’avenir, le Ségur de la santé (≈9 Mds€) pour l’hôpital après le Covid, divers plans sectoriels (par exemple plan vélo à 2 Mds€, Pass Culture à 0,3 Md€)​… Sans oublier des baisses de recettes fiscales majeures décidées en parallèle : par exemple la baisse du taux d’impôt sur les sociétés de 33,3% à 25% sur 2018-2022, qui allège certes la fiscalité des entreprises mais coûte environ 13,6 milliards d’euros de recettes annuelles en moins dès 2022​. De même, la transformation de l’ISF en IFI (réduction de l’assiette de l’« impôt sur la fortune ») ou la flat tax sur les revenus du capital ont amoindri les rentrées fiscales. Or, ces cadeaux fiscaux n’ont pas été compensés par une réduction équivalente du train de vie de l’État. On a ainsi à la fois augmenté les dépenses et diminué certains impôts, creusant un écart financé encore une fois par… la dette.

En somme, depuis 2017, le gouvernement a actionné le portefeuille public plus volontiers que la calculette des économies. Chaque crise ou contestation a été réglée à coups de milliards, avec une facilité déconcertante compte tenu des avertissements. On se souvient que le Président aimait fustiger ceux qui croient en « l’argent magique » – pourtant son quinquennat a souvent donné l’impression que cet argent coulait à flots dès qu’une urgence politique se présentait. Le résultat, factuel, est qu’en 2024 la France dépense bien plus qu’elle ne gagne, et la dette reflète cette dérive.

Promesses de discipline envolées

Ce constat est d’autant plus ironique que, sur le papier, la discipline budgétaire figurait parmi les engagements initiaux. En 2017, dans sa profession de foi présidentielle, Emmanuel Macron déclarait crânement : « Ne pas réduire nos dépenses courantes et notre dette serait irresponsable pour les générations à venir ». Sept ans plus tard, force est de constater que cette “irresponsabilité” tant dénoncée a bien eu lieu – sous sa propre présidence. Les quelques efforts annoncés en début de mandat ont fondu comme neige au soleil. Par exemple, la promesse de campagne de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires (50 000 dans la fonction publique d’État, 70 000 dans les collectivités) n’a jamais été tenue : le gouvernement a très vite ralenti puis abandonné cet objectif jugé irréaliste, et les effectifs publics ont même augmenté dans certains secteurs. En 2018, à peine 1 600 suppressions de postes étaient programmées dans la fonction publique d’État – un rythme dérisoire par rapport à l’engagement initial. Finalement, la grande réforme de l’administration annoncée n’a évidemment pas eu lieu, repoussée par la pression des besoins de services publics et les crises à gérer.

De même, les objectifs de réduction du déficit fixés dans les lois de finances ou les programmes de stabilité européens ont été continuellement reportés. Avant la pandémie, le gouvernement Philippe ambitionnait de contenir le déficit public autour de 2% du PIB et même d’engager une baisse de la dette dès 2020 – en comptant beaucoup sur la croissance. Ces objectifs ont volé en éclats dès la fin 2018 (crise des Gilets jaunes) puis surtout en 2020 (Covid). Après la crise Covid, le gouvernement Castex puis Borne a bien présenté des plans de retour à la normale (déficit ramené sous 3% du PIB, dette stabilisée) mais toujours plus tard : d’abord envisagé pour 2023, le retour sous 3% a été décalé à 2025, puis désormais à 2027 selon le programme de stabilité actuel​. Chaque année, la fameuse “maîtrise des dépenses” est annoncée dans les discours, mais chaque année la trajectoire dérape. Plus qu’une dérive, c’est un renoncement. Et les promesses de sérieux budgétaire ne convainquent plus grand monde.

Même les réformes structurelles censées améliorer le solde public à long terme ont pris du retard. La réforme des retraites – potentiellement importante pour soulager les finances – n’a été adoptée qu’en 2023 (âge légal porté à 64 ans), après des années d’hésitation et de contestation, et n’aura d’effet qu’à moyen terme. Mais après la gestion du Covid et les 1 000 milliards d’euros supplémentaires de dette de ces dernières années, on se demande même pourquoi il faudrait travailler plus longtemps alors qu’il suffit d’imprimer de la monnaieLa réforme de l’assurance chômage, appliquée en 2021-2023, a pu générer quelques économies, mais relativement marginales face à l’ampleur du déficit. En définitive, les gouvernements Macron 1 et 2 ont souvent préféré repousser les décisions difficiles, ou les édulcorer, tout en continuant à financer largement les mauvaises priorités du moment par la dette.

Il est également révélateur que la France ait été retirée de la procédure européenne pour déficit excessif en 2018 (après 10 ans d’infractions aux 3% de déficit, grâce à un déficit ramené autour de 2,5% fin 2017-2019), pour y retomber dès 2024 : la Commission européenne a lancé une nouvelle procédure pour déficit excessif contre la France fin juin 2024​, la situation budgétaire étant redevenue non conforme (déficit prévu autour de 5-6% du PIB en 2024, bien au-delà de la norme). C’est ce qu’on appelle communément un retour de manivelle : les engagements pris envers nos partenaires (stabiliser puis réduire la dette, faire des réformes structurelles) n’ont pas été tenus une fois les projecteurs éteints.

Conséquences : le réveil difficile

Une telle politique – faire tourner la dette à plein régime – n’est pas sans conséquences concrètes, même si elles sont malheureusement moins visibles pour les français que les annonces de dépenses. D’abord, la charge des intérêts de la dette s’alourdit dangereusement. Grâce aux taux d’intérêt historiquement bas, la France a longtemps emprunté presque gratuitement ; mais cette ère est finie. Avec la remontée des taux depuis 2022, le budget de l’État voit la ligne « charge de la dette » gonfler : 49 milliards d’euros d’intérêts versés en 2023 (environ 1,7% du PIB, soit près de 7% du budget de l’État)​. C’est plus que le budget de la Défense ou de la Justice. Et ce chiffre pourrait atteindre 55 milliards dès 2025 d’après les prévisions​. Autant d’argent public qui ne finance aucun service ni investissement, mais sert à rémunérer les créanciers (banques, fonds d’investissement, parfois étrangers) pour le risque d’un prêt à la France. Plus la dette augmente et plus les taux montent, plus cette charge devient un boulet : c’est l’effet boule de neige, où les intérêts eux-mêmes aggravent le déficit si l’État doit réemprunter pour les payer. On pourrait se poser la question légitime : à qui profite le crime, qui s’engraisse sur le dos des français à cause de ces politiques publiques déplorables… ?

Ensuite, la crédibilité financière de la France sur les marchés internationaux s’est érodée. Les agences de notation, qui évaluent la capacité du pays à rembourser sa dette, ont envoyé des signaux d’avertissement. En avril 2023, l’agence Fitch a dégradé la note de la France d’un cran, de AA à AA-, assortissant la dette française d’une perspective négative (ce qui signifie qu’une nouvelle dégradation est envisagée si rien ne s’améliore)​. En juin 2024, c’était au tour de Standard & Poor’s d’abaisser la note française à AA- à son tour​. Autrement dit, la France a perdu son rang dans la catégorie AA chez toutes les grandes agences, se rapprochant dangereusement du simple A. Cette dégradation n’est pas qu’un affront symbolique : si la note venait encore à baisser, de grands investisseurs institutionnels pourraient être contraints de bouder la dette française (certains fonds n’achètent que des titres très bien notés)​. Le Trésor devrait alors offrir des taux d’intérêt encore plus élevés pour attirer les prêteurs, d’où un cercle vicieux. Pour l’instant, la France échappe de justesse au déclassement complet grâce aux « sursis » accordés par les agences en 2024-2025​, mais jusqu’à quand ?

Enfin, la France y perd en souveraineté budgétaire. Plus la dette est élevée, plus les marges de manœuvre pour de nouvelles dépenses se réduisent – sous peine d’aggraver une situation déjà précaire. Le gouvernement actuel en est réduit à programmer des hausses d’impôts déguisées ou des économies de bouts de chandelle pour tenter de rassurer nos créanciers. Par exemple, le budget 2024 a dû prévoir “au moins 10 milliards d’euros d’économies” selon le ministre de l’époque Bruno Le Maire​, en taillant dans certains crédits et aides d’État, ce qui reste très modeste. Surtout, la France est désormais de nouveau sous surveillance de Bruxelles : avec la reprise de la discipline européenne, elle doit présenter des plans de retour sous 3% de déficit jugés crédibles – au risque sinon de sanctions financières ou, plus concrètement, d’une perte de confiance qui se traduirait immédiatement sur les taux d’emprunt. En clair, la politique budgétaire française est contrainte : contrainte par le poids des intérêts (chaque hausse des taux est scrutée avec anxiété à Bercy), contrainte par les engagements européens, et contrainte par la crainte de voir le « mur de la dette » nous rattraper. On parle ici d’une forme de “perte de souveraineté” : à force de vivre à crédit, on finit par dépendre du bon vouloir de ses bailleurs. A ce propos, qui sont-ils, qui détient réellement la dette française ?

L’ironie du sort

En 2017, le nouveau pouvoir promettait une gestion en « bon père de famille » et affirmait qu’il n’y avait pas d’argent magique. En 2024, la France se retrouve avec une dette publique record, des déficits chroniques et un État toujours plus impécunieux malgré des dépenses toujours plus élevées. L’ironie du sort veut que ce soient précisément les gouvernants qui dénonçaient l’endettement facile qui en auront le plus abusé – fût-ce au nom des crises successives. Bien sûr, toutes les fautes ne leur incombent pas exclusivement, la gestion du pays depuis le début des années 2000 a fortement contribué à la dégradation des comptes. Mais cela n’excuse pas le reste : l’incapacité à redresser la barre une fois la tempête passée, le refus des réformes structurelles pendant les accalmies, et la facilité à céder à chaque urgence sans préparer l’avenir.

Mais aujourd’hui, la facture est là. Les gouvernements successifs depuis 2017 – qu’il s’agisse des équipes Philippe, Castex, Borne, Barnier ou Bayrou – ont tous contribué à creuser le trou, chacun ajoutant sa couche de dépenses ou renonçant à sa part d’effort. Le résultat est une dette colossale dont le service pèse de plus en plus lourd, et une France qui se retrouve en situation de vulnérabilité financière. Au mieux c’est un renoncement, au pire c’est un coup monté. Mais demain est arrivé, et c’est l’addition des intérêts et des contraintes qui nous rappelle à la réalité. En matière de dette publique, la France a joué la cigale depuis bien trop longtemps ; l’heure du refrain de la fourmi pourrait bien sonner plus douloureusement qu’elle ne l’imagine.

Connexe : Nouvelle donne fiscale aux États-Unis : l’Europe dans l’impasse ?

Sources : Données INSEE, Ministère de l’Économie et des Finances, presse économique et rapports officiels (Cour des comptes, OFCE).​


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Par Tony L.

Passionné de technologie, Tony vous propose des articles et des dossiers exclusifs dans lesquels il partage avec vous le fruit de ses réflexions et de ses investigations dans l'univers de la Blockchain, des Cryptos et de la Tech.

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