Les épargnants français vont bientôt découvrir une nouvelle grille de rémunération beaucoup moins généreuse que celle à laquelle ils s’étaient habitués. Sauf revirement politique de dernière minute, le taux du Livret A devrait tomber à 1,70% le 1ᵉʳ août 2025, après avoir déjà reculé à 2,40% en février. Au-delà du coup de frein symbolique pour la première épargne des ménages, cette baisse déclenche un mouvement de domino, en effet, la plupart des produits sans risque indexés directement ou indirectement sur le Livret A vont reculer en cadence. Les dépôts réglementés verront donc leur rendement réel se rapprocher, voire passer sous, la barre de l’inflation attendue, chiffrée autour de 0,9% sur le premier semestre 2025.
Pourquoi le livret A glisse à 1,70%
Le taux du Livret A est révisé deux fois par an à partir d’une formule officielle fondée sur la moyenne semestrielle de l’inflation hors tabac et de l’€STR (Euro Short-Term Rate), le taux interbancaire à court terme de la zone euro, à laquelle la Banque de France ajoute 0,25 point pour « récompenser » l’épargnant. Avec une inflation en repli marqué et un €STR revenu aux environs de 2,6%, la formule donne mécaniquement un taux proche de 1,45%. Comme le gouverneur dispose d’une marge d’arrondi de 10 centièmes, le résultat le plus probable est 1,70%. Cette décision, encore officieuse, sera confirmée début juillet lorsque l’indice des prix de juin sera publié.
Une mécanique qui se propage aux livrets frères
Le LDDS (Livret de développement durable et solidaire) et le Livret Jeune affichent toujours le même rendement que le Livret A. Leur sort est donc scellé : ils suivront la descente à 1,70%. Pour les détenteurs, le pouvoir d’achat de la cagnotte se tassera, d’autant que ces livrets sont aussi exonérés de prélèvements sociaux et d’impôt sur le revenu. Quant aux super-livrets « maison » proposés par les banques, ils ajustent leur rémunération au marché monétaire : la pression à la baisse sera forte là aussi, après plusieurs trimestres de promotions destinées à attirer la liquidité disponible.
Le cas particulier du livret d’épargne populaire
Le LEP, réservé aux foyers modestes, obéit à une règle différente : son taux est le plus élevé entre l’inflation semestrielle moyenne et le taux du Livret A majoré de 0,50 point. Si le Livret A passe à 1,70%, le LEP s’établirait donc à 2,20% (1,70% + 0,50 pt), soit une chute de 1,30 point par rapport au taux actuel de 3,50%. Cette protection partielle continue de garantir un rendement réel positif, mais l’écart avec le Livret A se réduit, alors même que le plafond de versement du LEP a été relevé à 10 000€ à l’automne 2023.
Quand le compte épargne logement suit la même pente
Autre produit réglementé fragilisé : le Compte épargne logement (CEL). Son taux brut correspond aux deux-tiers de celui du Livret A, arrondis au quart de point le plus proche, avec un minimum légal de 0,75%. Si la rémunération du Livret A s’enfonce à 1,70%, le CEL baisserait à 1,25% brut, soit 0,88% net après la flat tax de 30%. Seules les personnes envisageant un prêt immobilier à court terme peuvent encore trouver un intérêt à conserver leur CEL, grâce aux droits à prêt qu’il génère. Pour un usage purement « coussin de trésorerie », sa compétitivité diminue nettement.
Conséquences pour les livrets bancaires et comptes à terme
Hors épargne réglementée, les livrets fiscalisés proposés par les banques en ligne et les banques de réseau restent théoriquement libres. Cependant, leur rendement de base s’aligne souvent sur l’€STR pour préserver la marge d’intermédiation. Avec la détente sur les marchés monétaires, ces livrets devraient s’installer en deçà de 1,50% brut d’ici la fin de l’année, hors primes temporaires. Les comptes à terme, revenus en grâce depuis la remontée des taux en 2023-2024, verront leurs grilles se contracter : déjà, les offres à 24 mois dépassant 3% se raréfient. Les particuliers auront donc plus de mal à verrouiller un taux intéressant sur des dépôts à court horizon.
Quelle marge de manœuvre pour les épargnants ?
La première tentation est de glisser une partie de l’épargne vers l’assurance-vie en euros, dont les rendements se situent autour de 2,80% nets de frais de gestion pour 2024. Mais ces supports sont soumis aux prélèvements sociaux (17,2%) et aux règles fiscales de l’assurance-vie. De plus, la tendance baissière des obligations d’État finira par se refléter dans la participation aux bénéfices des assureurs. Les fonds monétaires, accessibles sur un compte-titres, suivent l’€STR quasiment en temps réel : leur rémunération va donc refluer dans les mêmes proportions. Ceux qui recherchent la liquidité absolue n’auront pas d’autre choix que de tolérer un rendement réel proche de zéro.
Diversifier sans sacrifier la sécurité
Face à ce paysage moins rémunérateur, cinq approches se dégagent :
- Échelonner des comptes à terme : saucissonner le montant disponible sur plusieurs maturités (6, 12, 18 mois) permet de profiter rapidement d’un éventuel rebond des taux tout en obtenant un rendement moyen supérieur à celui d’un livret classique.
- Mobiliser partiellement l’assurance-vie : verser sur le fonds en euros pour la poche de précaution longue, tout en orientant une petite fraction (10 à 20%) vers des unités de compte obligataires investment-grade, moins volatiles que les actions.
- Capitaliser l’épargne logement existante : un vieux PEL ouvert avant 2017 continue de servir 2,50% ou plus, net d’impôt (hors prélèvements sociaux déjà acquittés). Le maintenir ouvert reste pertinent.
- Comparer les super-livrets promotionnels : des offres à 3 ou 4% sur trois mois existent encore, mais n’ont de sens que si l’on arbitre sans tarder à la fin de la période bonifiée.
- Réexaminer le LEP : même à 2,20%, il restera le meilleur livret net de fiscalité si l’on respecte les conditions de revenus.
Surveiller l’inflation : la variable clé
Le rendement réel d’un livret ne se mesure pas seulement en pourcentage facial. Tant que l’inflation glisse sous 1%, un Livret A à 1,70% protège encore légèrement le capital. En revanche, si la décrue des prix se stabilise et qu’un rebond énergétique survient, le rendement réel pourrait redevenir négatif, comme entre 2022 et 2023. D’où l’importance de suivre chaque mois les statistiques de l’Insee : au-delà de la date de révision semestrielle, une surprise sur le front des prix peut pousser la Banque de France à proposer un arrondi supérieur à Bercy.
Un moment pour repenser ses liquidités
La baisse synchronisée du Livret A et de ses « cousins » rappelle que la sécurité absolue a un prix : un rendement limité, variable et désormais inférieur à celui que beaucoup de Français avaient pris l’habitude de percevoir. Pour ne pas amputer son pouvoir d’achat à long terme, chacun doit désormais segmenter son épargne, distinguer l’argent immédiatement mobilisable (quelques mois de dépenses) qu’on acceptera de rémunérer faiblement, et le reste, qui peut se loger dans des supports offrant un couple rendement-risque plus intéressant. Diversifier ne signifie pas forcément prendre des paris boursiers hasardeux ; c’est avant tout adapter l’horizon de placement à l’usage prévu des fonds. Les six prochaines semaines, avant la publication officielle des nouveaux taux, offrent une fenêtre utile pour effectuer ces arbitrages sereinement.
Connexe : Ce que cache vraiment le label “Finance Europe” : votre argent en première ligne
Ceci n’est pas un conseil en investissement mais un partage d’information. Faites vos propres recherches. Il y a un risque de perte en capital.