Ce que cache vraiment le label “Finance Europe” : votre argent en première ligne

Publié le - Auteur Par Tony L. -
Ce que cache vraiment le label “Finance Europe” : votre argent en première ligne

Début juin 2025, la France et plusieurs de ses voisins européens (Allemagne, Espagne, Italie, Pays-Bas, Luxembourg, etc.) ont signé une charte lançant un nouveau label d’investissement baptisé « Finance Europe ». Présenté comme un outil vertueux, ce label vise à flécher l’immense épargne des ménages européens vers le financement des entreprises du continent. L’enjeu est de taille : les Européens détiennent environ 35 000 milliards d’euros d’actifs financiers, mais seule une faible part de cette somme alimente aujourd’hui l’investissement de long terme dans l’économie européenne. Environ 50% de l’épargne des ménages de l’UE dort sur des dépôts bancaires ou des placements liquides à capital garanti, plutôt que de financer en fonds propres les entreprises locales. Parallèlement, près de 20 à 30% de l’épargne européenne finance actuellement des économies étrangères (notamment américaine).

Le constat dressé par les pouvoirs publics est donc double, d’une part, une abondance d’épargne mal employée (peu rentable pour les particuliers et peu utile à l’économie réelle) ; d’autre part, des besoins de financement énormes en Europe. En effet, l’Union européenne doit investir massivement dans ses priorités stratégiques (innovation numérique, infrastructures…) dont certaines sont des aberrations tant elles ruineront les citoyens (transition écologique). LUE aurait besoin d’environ 800 milliards d’euros supplémentaires d’ici 2030 pour ces seuls domaines. Le label Finance Europe se veut une réponse à cette problématique de financement, c’est à dire réorienter une partie de l’épargne vers l’économie locale afin de financer ses projets.

Le gouvernement évoque un élan de « patriotisme économique » pour justifier ce label, mais l’usage de ce terme relève davantage de la communication que d’une réalité concrète. Car ici, il ne s’agit nullement de patriotisme au sens national du terme : il est question de réorienter l’épargne des Français non pas vers des projets locaux ou nationaux, mais vers des financements européens, souvent transnationaux, voire même totalement déconnectés des préoccupations du quotidien en France. Une part importante de ces fonds pourra ainsi servir à des programmes décidés à Bruxelles, à Strasbourg ou ailleurs, sans consultation démocratique directe ni vote populaire des Français. Parler de patriotisme dans ce cadre, c’est donc détourner le sens même du mot. Le véritable patriotisme, ce serait de mettre l’épargne des citoyens au service de leur propre pays, pour améliorer leur niveau de vie, moderniser les services publics, soutenir les PME locales ou encore alléger la pression fiscale. Ici, on assiste plutôt à un habillage sémantique destiné à faire accepter aux Français une mise sous tutelle financière déguisée, au profit d’un projet européen de plus en plus centralisé et éloigné de leurs priorités concrètes.

Des critères stricts et un avantage fiscal à la clé

Techniquement, le label Finance Europe n’est pas un nouveau produit financier, mais un “tampon” apposé sur des placements respectant certains critères. Pour qu’un produit d’épargne (assurance-vie, PEA, fonds, plan retraite, etc.) puisse arborer ce label, il devra satisfaire à un référentiel commun exigeant :

  • Au moins 70% des actifs investis en Europe (dans l’Espace économique européen). Autrement dit, fini les portefeuilles majoritairement orientés vers les actions américaines ou asiatiques si l’on vise la labellisation.
  • Une orientation prioritaire vers les actions européennes – l’objectif est de renforcer les fonds propres des entreprises locales en incitant les placements en bourse plutôt que sur des obligations ou dépôts sans risque.
  • Un horizon de placement d’au minimum 5 ans. Le label promeut l’épargne longue, stable, correspondant aux besoins de financement de long terme (infrastructures, transition énergétique…). Exit donc les allers-retours spéculatifs à court terme : l’épargnant “Finance Europe” s’engage à voir loin.
  • Aucune garantie publique sur le capital. Les produits labellisés ne bénéficieront pas de garantie d’État (contrairement, par exemple, au Livret A ou aux dépôts bancaires jusqu’à 100 000 €). L’épargnant accepte une part de risque en contrepartie de potentielles meilleures performances.

En échange de ces contraintes, chaque pays participant devra mettre en place une incitation fiscale attractive pour orienter l’épargne vers ces produits. Il pourrait s’agir, par exemple, d’une réduction d’impôt, d’une exonération sur les plus-values au bout d’un certain temps, ou d’un traitement fiscal bonifié des intérêts. L’idée est de récompenser le citoyen qui investit “utile” en Europe, tout en compensant le surcroît de risque pris par rapport à des placements sécurisés.

Ce dispositif repose sur la confiance, les banques, assureurs et sociétés de gestion pourront labelliser leurs fonds ou comptes d’investissement “Finance Europe” à condition de respecter strictement le cahier des charges commun. Des contrôles seront effectués par les autorités nationales compétentes, et en cas d’usage abusif du label (un produit qui ne respecterait pas réellement les critères annoncés), le droit d’utiliser l’estampille Finance Europe pourra être retiré. Notons qu’il ne s’agit pas formellement d’une réglementation de l’UE imposée à tous, mais d’une initiative intergouvernementale coordonnée, à laquelle les États sont libres d’adhérer. En France, le gouvernement insiste sur le caractère purement incitatif et volontaire de la démarche – aucune obligation nouvelle n’est faite aux épargnants, il s’agit simplement de leur offrir un repère clair et une carotte fiscale pour investir davantage dans l’économie nationale et européenne.

L’Europe unie mise sur l’épargne des ménages

Le lancement de Finance Europe est un projet de convergence financière européenne. Depuis la crise du Covid, l’UE a enclenché des évolutions inédites dans la gestion commune de l’argent. Pour la première fois, des dettes nationales ont été mutualisées au niveau européen : à travers le plan de relance NextGenerationEU en 2020, la Commission européenne a emprunté en commun 750 milliards d’euros au nom des Vingt-Sept pour les redistribuer aux États. Des mécanismes inédits permettent désormais de mettre en commun les emprunts publics, faisant peser collectivement sur l’ensemble de la zone euro des dettes auparavant purement nationales. Officiellement, cet effort était « temporaire », mais il pose les bases d’une « Europe de la dette » pérenne où les engagements financiers des pays sont de plus en plus imbriqués. D’autres initiatives ont suivi (programme SURE, prêts communs pour l’énergie, etc.), dessinant une intégration financière accrue du continent – certains analystes n’hésitent pas à parler de « coup d’État monétaire » tant cela rompt avec les traités initiaux interdisant la mutualisation des dettes souveraines.

C’est dans cette logique que s’inscrit le label Finance Europe. Il s’agit, d’une certaine manière, de l’autre versant de l’Union financière, après la mise en commun de la dette publique côté États, voici la mobilisation concertée de l’épargne privée côté ménages. L’Union européenne cherche à bâtir un véritable marché unifié des capitaux (Capital Markets Union), au sein duquel l’épargne circule vers les projets prioritaires quel que soit le pays. Une épargne plus libre de franchir les frontières, mais aussi plus facilement orientable par les autorités. Officiellement, on vante une synergie gagnant-gagnant, l’épargnant profiterait d’opportunités de placement mieux rémunérées qu’un Livret A, et l’économie européenne bénéficierait de fonds pour se développer, innover et rivaliser avec les puissances américaine ou chinoise.

Il faut dire que les dirigeants comptent de plus en plus ouvertement sur le bas de laine de leurs concitoyens pour assurer les arrières de la finance publique. En France, Bercy rappelle fréquemment que l’épargne financière des ménages (plus de 6000 milliards d’euros, hors immobilier) représente le double de la dette publique nationale, ce qui constitue in fine une garantie de remboursement en cas de coup dur. Le président Emmanuel Macron lui-même, lorsqu’il plaide pour de nouveaux emprunts européens mutualisés (par exemple pour financer l’industrie de défense), souligne que la France dispose d’une épargne privée pléthorique – insinuant que cette richesse collective peut servir de filet de sécurité pour les créanciers. Autrement dit : prêtez-nous de l’argent, nous saurons trouver les ressources chez nos contribuables pour vous rembourser. Cette idéologie reflète un glissement stratégique, l’État et l’Europe voient dans l’épargne des ménages un trésor à mobiliser pour soutenir leurs politiques, quitte à brouiller la frontière entre finance publique et patrimoines privés.

De l’incitation à la ponction : quels dangers pour les épargnants ?

Malgré ces intentions affichées, le label Finance Europe suscite de réelles inquiétudes et de vraies questions.

📌 Première alerte : une moindre diversification et de moindres performances potentielles pour l’investisseur. Si on pousse les épargnants français à concentrer leurs placements sur l’Europe, on risque de les priver des gains offerts ailleurs. Ces dernières années, les marchés américains ont surperformé les marchés européens : fin 2024, les actions US s’échangeaient à des niveaux bien plus valorisés (25 fois les bénéfices pour le S&P 500) que les actions européennes (14 fois les bénéfices pour l’indice MSCI Europe), reflétant la croissance supérieure des entreprises outre-Atlantique. En clair, l’argent investi en Bourse aux États-Unis a souvent mieux rapporté. Or, privilégier l’« investissement patriote » pourrait revenir à accepter un rendement moindre sur son épargne. Si le patriotisme économique se traduit par un sacrifice financier (taux de rendement plus bas, volatilité accrue due à une concentration géographique), les épargnants pourraient en être les perdants à long terme. Le risque est d’autant plus grand que l’Europe, en voulant orienter l’épargne « par le haut », ferme parallèlement la porte à des alternatives plus performantes – par exemple en limitant l’accès aux fonds indiciels américains dans les enveloppes fiscales avantageuses.

📌 Deuxième danger : une restriction insidieuse de la liberté de placement. Certes, le label est volontaire… pour l’instant. Mais on voit poindre des ajustements réglementaires qui pourraient, de facto, obliger les épargnants à suivre la direction voulue. Le cas du Plan d’Épargne en Actions (PEA) est révélateur. Ce compte, très prisé des Français, bénéficie d’une fiscalité favorable pour encourager l’investissement en Bourse, à condition de loger principalement des titres européens. Jusqu’à présent, de nombreux épargnants contournent la limitation géographique en achetant sur leur PEA des ETF (fonds indiciels cotés) reproduisant la performance de marchés américains ou mondiaux – grâce à des montages financiers, ces ETF restent éligibles tout en exposant à l’étranger. Or, selon des experts, si le PEA était intégré dans la logique “Finance Europe”, il faudrait probablement exclure les ETF indexés sur Wall Street actuellement tolérés. En d’autres termes, l’investisseur pourrait perdre l’accès, même indirect, aux actions américaines via son PEA. Par ailleurs, des réflexions sont en cours pour durcir les conditions du PEA afin de le conformer à l’esprit du label : par exemple, ne déclencher l’exonération d’impôt qu’au bout de 5 ans de détention de chaque titre (et non plus 5 ans de détention du plan, peu importe les allers-retours). Une telle mesure forcerait réellement l’épargne à long terme, mais au prix d’une liquidité fortement réduite et d’une flexibilité moindre pour le particulier. Ces pistes illustrent comment un label facultatif peut influencer une évolution de la réglementation fiscale ou financière limitant de facto le libre choix de l’investisseur. On passe doucement de l’incitation à la contrainte en verrouillant les avantages fiscaux autour de l’investissement local.

📌 Troisième risque : la tentation de la ponction pure et simple de l’épargne privée en cas de crise. La crainte, formulée par certains analystes, est que Finance Europe soit le cheval de Troie d’un projet plus radical. Si demain la situation financière de l’eurozone se dégrade (montée des taux, creusement des déficits, récession…), les gouvernements pourraient estimer que les incitations ne suffisent plus. Après la carotte, le bâton : pourquoi ne pas directement mettre à contribution l’épargne des ménages pour renflouer les caisses ou soutenir l’euro ? Des scénarios jusqu’ici tabous commencent à être évoqués. Par exemple, Gabriel Attal – aujourd’hui ministre chargé du Budget – a lancé début 2024 l’idée de taxer les « rentes » financières pour juguler le déficit public. Le projet reste flou et ciblé sur les gains « exceptionnels », et le gouvernement s’empresse d’affirmer qu’il « ne s’agit pas d’aller taxer l’épargne des Français ». N’empêche, la sémantique évolue : on reparle de mettre à contribution les revenus du capital, les loyers, les dividendes – bref, ce qui constitue justement les fruits de l’épargne et du patrimoine des particuliers. De même, au niveau européen, certains responsables évoquent l’« épargne dormante » des ménages qu’il faudrait mobiliser, ou la création d’un produit d’épargne paneuropéen obligatoire. Ce qui n’est pour l’instant qu’une incitation bon enfant via un label pourrait, sous la pression des événements, se transformer en prélèvement imposé. L’histoire offre des précédents : dans les années 2010, face à la crise bancaire, Chypre a bien ponctionné une partie des dépôts bancaires de ses citoyens du jour au lendemain. Sans aller jusqu’à ce cas extrême, on peut très bien imaginer qu’une future loi de finances, française ou européenne, impose une contribution exceptionnelle sur les assurances-vie, une augmentation ciblée de la fiscalité immobilière, ou une obligation pour les fonds de pension d’acheter des obligations européennes « vertes » à faible rendement. Toutes ces mesures signifieraient que l’épargnant, volontaire ou non, paierait pour combler les trous.

📌 Enfin, dernier danger, plus insidieux ⚠️ : l’État peut être tenté de s’appuyer sur l’épargne privée pour masquer la gravité de la situation financière, au détriment des réformes nécessaires. Tant qu’il y a assez d’argent chez les ménages pour tenir, on évite la remise en question. Les agences de notation internationales semblent d’ailleurs intégrer ce paramètre : si la France, par exemple, conserve une note de crédit correcte malgré ses déficits records, c’est parce que le risque de défaut est jugé faible tant qu’il existe une épargne nationale pléthorique à taxer en cas de besoin. Comme l’a souligné un éditorialiste économique, « la situation de la France est désespérée en réalité, mais grâce à l’épargne des Français, on maintient l’illusion d’une solvabilité liée à la capacité de l’État à taxer les économies des ménages ». Autrement dit, le coussin de sécurité des épargnants sert de garantie implicite aux yeux des créanciers. Le revers, c’est que ce coussin pourrait un jour être entamé de force : la « stabilité » financière repose sur la promesse que l’État n’hésitera pas à prendre aux particuliers pour honorer ses dettes. Certains commentateurs cyniques affirment même que, désormais, « les agences notent moins la dette d’un pays que sa capacité à lever de nouveaux impôts », c’est-à-dire à ponctionner sa population. On n’en est pas officiellement là, mais l’équilibre est précaire – et l’épargnant devrait y penser à deux fois avant de se laisser endormir par de belles promesses.

➡️ En conclusion, ce label « Finance Europe » à pour but de faire de l’épargne privée le rempart de dernier ressort face aux difficultés publiques. Pour l’instant, on agite un étendard bleu étoilé pour séduire les investisseurs patriotes avec quelques avantages fiscaux. Demain, si la conjoncture l’impose, on pourrait bien voir apparaître des mesures beaucoup moins volontaires. Derrière le vernis du label européen se cache en réalité un transfert de risque vers les particuliers. Et certains observateurs d’alerter : les dirigeants ont déjà « tout un tas d’idées pour s’occuper de vos sous – dans leur intérêt, pas dans le vôtre ». À bon entendeur… Il est plus que jamais majeur que chacun garde la main sur son épargne et diversifie ses placements, afin de ne pas se retrouver pieds et poings liés si l’État décide que, votre argent serait mieux employé ailleurs que sur votre compte en banque.

Sources : Le Monde, Merci pour l’info, BFM Business, Les Échos, ComparateurBanque, Bizouard & Associés (Les Échos Publishing), Reddit (r/vosfinances), Europe 1, Insolentiae (Charles Sannat), Blick.ch, Boursier.com, Le Figaro.

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Par Tony L.

Passionné de technologie, Tony vous propose des articles et des dossiers exclusifs dans lesquels il partage avec vous le fruit de ses réflexions et de ses investigations dans l'univers de la Blockchain, des Cryptos et de la Tech.

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