Black-out en Espagne : quand l’utopie verte fait disjoncter l’Europe

Modifié le - Auteur Par Tony L. -
Black-out en Espagne : quand l’utopie verte fait disjoncter l’Europe

Espagne : nouveau black-out, télécoms KO et énergie au bord de la rupture

Deux semaines après une panne électrique majeure, l’Espagne replonge dans le chaos.

Cette fois, l’impact dépasse largement le secteur de l’énergie : le réseau mobile de Telefónica a été paralysé, privant des millions d’usagers de communications téléphoniques. Les appels, SMS et données mobiles ont été perturbés dans tout le pays pendant plusieurs heures, affectant même les services d’urgence.

En parallèle, un incident nucléaire en France, à la centrale de Golfech, a été confirmé comme l’un des déclencheurs du précédent black-out. Ce lien inattendu entre les infrastructures énergétiques des deux pays souligne leur interdépendance critique, et fragilise la stabilité du réseau européen.

Selon plusieurs experts, ces événements révèlent un système énergétique mal préparé face aux pics de consommation, aux interruptions de production ou aux cyberattaques potentielles. Ils mettent également en lumière la fragilité des réseaux de communication, désormais essentiels au fonctionnement de nos sociétés modernes.

Alors que l’Espagne mise de plus en plus sur les énergies renouvelables, ce nouvel épisode relance le débat sur la résilience du réseau et les limites d’une transition énergétique mal encadrée.

La panne devient un signal d’alarme pour toute l’Europe.


L’actualité sur la première panne électrique

Des trains à l’arrêt, des métros plongés dans le noir en plein midi, des millions de personnes soudain privées d’électricité – ce lundi 28 avril, la péninsule Ibérique a vécu une panne géante sans précédent​. À 12h33, l’ensemble de l’Espagne et du Portugal ont basculé dans l’obscurité, mettant hors service feux tricolores, distributeurs de billets, réseaux téléphoniques et même le Parlement espagnol interrompu en session. Une partie du sud de la France a également subi ce black-out d’ampleur inhabituelle. Si les causes exactes du chaos font encore l’objet d’enquêtes, un élément fait tâche : quelques semaines plus tôt, le gestionnaire du réseau espagnol avait tiré la sonnette d’alarme sur ce scénario catastrophe.

En effet, dans un rapport financier publié fin février, Redeia – maison mère du distributeur espagnol REE – évoquait le risque de coupures de courant “sévères” liées à la forte pénétration des énergies renouvelables dans le mix électrique espagno. Ce document de 380 pages listait les défis techniques d’un réseau saturé d’éolien et de solaire : capacités d’adaptation limitées des petites installations, fermeture progressive des centrales pilotables classiques (gaz, charbon, nucléaire) et déséquilibre potentiel entre production et demande d’électricité. Autrement dit, l’Espagne s’exposait à une fragilisation de son alimentation électrique à mesure qu’elle misait massivement sur les énergies vertes intermittentes. L’alerte de Redeia s’est muée en sinistre réalité en ce lundi noir… du moins si l’on en croit les ingénieurs. Car officiellement, pas question d’incriminer le tout-renouvelable. La présidente de Redeia, Beatriz Corredor, a aussitôt jugé “pas correct” d’établir un lien entre la panne géante et le haut niveau de renouvelables en Espagne : selon elle, les technologies vertes “fonctionnent de manière stable” et le rapport de février ne dressait qu’une liste de risques théoriques. Circulez, donc, ce coup de froid sur le vert ne serait qu’une coïncidence…

Avertissements ignorés : la fragilité d’un réseau saturé d’ENR

Pourtant, de nombreux experts alertent depuis des années sur les limites d’une électricité trop dépendante des éléments. “Avoir plus de 50% d’énergie renouvelable non pilotable, qui ne participe pas à la stabilité du système électrique, ce n’est pas raisonnable”, martèle par exemple André Merlin, fondateur du gestionnaire français RTE. L’ancien patron des réseaux hexagonaux – qui juge “irréaliste” un scénario 100% renouvelables – souligne qu’éoliennes et panneaux photovoltaïques sont par nature volatils et incapables de garantir à tout moment la puissance nécessaire. Contrairement aux centrales nucléaires, hydrauliques ou thermiques, ces sources intermittentes n’apportent pas non plus l’inertie électromécanique indispensable à la stabilité du réseau​. En clair, le soleil et le vent, si utiles pour produire, ne savent pas maintenir l’équilibre du système quand survient une perturbation. Sans moyens de réserve solides derrière chaque mégawatt vert, le château de cartes peut s’effondrer.

L’analyse d’André Merlin a trouvé une illustration spectaculaire en Espagne. Au moment précis où le réseau ibérique s’est écroulé, les renouvelables fournissaient 71% de l’électricité du pays – dont à elles seules 58% par le solaire photovoltaïque et 13% par l’éolien. Autrement dit, près des trois quarts du courant instantané provenaient de sources imprévisibles, soumises aux caprices du ciel. Dans le même temps, les moyens pilotables étaient relégués au strict minimum : une poignée de centrales au gaz en veille, un parc nucléaire réduit (l’Espagne ayant fermé une grande partie de ses réacteurs), et quelques turbines hydrauliques. Cette configuration ultra-tendue ne laissait quasiment aucune marge en cas d’aléa majeur. Et l’aléa est arrivé : selon les premières hypothèses, une chute brutale de production solaire ou un défaut technique aurait provoqué une perte instantanée de 12 000 à 15 000 MW, désintégrant l’édifice électrique espagnol en quelques secondes.

Des spectateurs plongés dans le noir lors du tournoi de tennis de Madrid, pendant la panne géante du 28 avril 2025. L’Espagne, où le solaire fournissait près de 60% de l’électricité à midi ce jour-là, a subi un retour brutal à l’obscurité en plein jour.

La suite des événements est éloquente. Privé de ses kilowatts “verts” partis en fumée, le pays a dû redémarrer à l’ancienne. Le rétablissement du courant a reposé sur les bonnes vieilles centrales hydroélectriques et à gaz, immédiatement mobilisées, ainsi que sur le soutien de voisins mieux lotis : la France (dont le socle nucléaire et hydraulique assurait une production stable) et le Maroc ont exporté de l’énergie pour aider à réalimenter le réseau ibérique. Ironie mordante : sans le secours de ces moyens pilotables – souvent honnis par les chantres du tout-renouvelable –, l’Espagne serait restée dans le noir bien plus longtemps. Le black-out a finalement été résorbé dans la soirée, mais au prix d’une prise de conscience douloureuse : en l’état actuel, la course effrénée aux renouvelables a engendré une instabilité structurelle que les autorités n’avaient pas suffisamment anticipée. Les signaux d’alarme étaient là, pourtant… Pourquoi ont-ils été ignorés ?

L’idéologie verte au pouvoir : l’Europe dans le déni

Pour comprendre, il faut braquer le projecteur sur Bruxelles et nos capitales, où s’est jouée depuis plus d’une décennie une véritable fuite en avant verte. Portée par l’urgence climatique, la Commission européenne a fait du développement massif de l’éolien et du solaire la pierre angulaire de sa politique énergétique. “Fit for 55”, Pacte vert, plan REPowerEU… les plans se sont succédé pour pousser les États membres à verdir toujours plus vite leur mix électrique. Des objectifs ambitieux ont été gravés dans le marbre : en 2023, un accord européen a même relevé à 42,5% la part d’énergies renouvelables d’ici 2030, soit près du double du niveau actuel​. Beaucoup de gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont embrassé avec zèle cette stratégie, s’alignant aveuglément sur les injonctions de Bruxelles. Quitte à balayer les réserves d’un revers de main, toute critique étant immédiatement taxée de frilosité ou de négation du climat. L’idéologie verte dominante a ainsi imprégné les instances européennes et nationales au point de faire passer la quantité avant la qualité de l’approvisionnement électrique. Le mot d’ordre : multiplier les mégawatts “verts” à tout prix, et régler les détails techniques plus tard.

En Espagne, cette approche s’est traduite par un boom désordonné des installations renouvelables, encouragé par l’UE et les gouvernements successifs. Madrid s’était fixé pour cap de fermer toutes ses centrales nucléaires d’ici 2035 et d’atteindre 100% d’électricité d’origine renouvelable à l’horizon 2050, convaincu que le soleil méditerranéen et les vents d’Andalousie suffiraient à éclairer l’avenir. D’autres, comme l’Allemagne, ont suivi une trajectoire similaire : sortie du nucléaire, réduction du charbon, et une foi quasi mystique dans les éoliennes géantes du nord et les panneaux solaires du sud pour combler le vide. Peu importe si le réseau devenait fragile, l’important était de tenir les engagements climatiques. On comprend mieux dès lors pourquoi les alertes techniques – y compris celles venues de l’intérieur, comme le rapport de Redeia – ont été minimisées. Admettre publiquement qu’on a peut-être brûlé les étapes aurait été sacrilège. Mieux valait croire dur comme fer que “tout allait bien se passer” et que quelques batteries et lignes haute tension suffiraient à conjurer le risque de panne.

Mais la réalité finit toujours par s’inviter au débat. Fait notable, certaines voix officielles commencent à infléchir le discours. En France, Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et ex-ministre du gouvernement, reconnaît désormais qu’il va falloir revoir à la baisse les objectifs de développement de l’éolien et du solaire. Elle propose de les “revoir légèrement à la baisse” dans la prochaine feuille de route énergétique, afin d’éviter un décalage trop important entre une production verte surabondante et une consommation qui ne suit pas. Autrement dit, même du côté des régulateurs généralement acquis à la cause des renouvelables, on admet que la cadence folle imprimée par l’idéologie climatique doit être corrigée. Le retour du bon sens technique sonnerait-il ?

Vers une remise en question salutaire ?

La grande panne espagnole de 2025 aura en tout cas fait office d’électrochoc. Elle a mis en lumière les failles d’un modèle reposant sur des énergies aléatoires, déployées plus vite que ne le permet l’adaptation des réseaux. Elle illustre aussi les dérives d’une politique menée à l’aveugle, où l’affichage écologique a pris le pas sur la planification pragmatique. Loin de remettre en cause la nécessaire transition bas-carbone, de plus en plus de spécialistes appellent à la rééquilibrer : redonner une place centrale aux sources pilotables (nucléaire, hydraulique, biomasse, gaz décarboné), investir dans le stockage massif d’énergie et la gestion de la demande, plutôt que de s’entêter dans un dogmatisme du “tout renouvelable”. Il ne s’agit pas de freiner l’élan vert, mais de le canaliser intelligemment, au risque sinon de voir se multiplier les ratés. Le précédent espagnol montre qu’à trop ignorer les lois de la physique, on finit par les subir violemment.

L’Europe énergétique peut-elle tirer les leçons de cet échec ? On ose espérer que oui. Des ajustements semblent déjà en cours dans certains pays, et le débat s’ouvre – timidement – sur la faisabilité des scénarios à haute teneur en éolien et solaire. Gageons qu’un peu d’humilité technique soufflera désormais sur la prise de décision. Faute de quoi, les Européens risquent de devoir s’habituer à des interruptions impromptues… et à allumer des bougies bien moins romantiques que celles des dîners aux chandelles. En somme, il est temps de rallumer la lumière de la raison avant que le vert idéalisme ne nous plonge de nouveau dans le noir.

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Sources : Redeia (REE) – rapport annuel 2024 (févr. 2025); LeFigaro ; Données REE – mix électrique espagnol 28/04/2025 ; 20minutos.es; Déclarations d’André Merlin, ex-Président de RTE ; Position d’Emmanuelle Wargon, CRE ; ​revolution-energetique.com; Objectifs UE énergies renouvelables​ ; touteleurope.eu.

Par Tony L.

Passionné de technologie, Tony vous propose des articles et des dossiers exclusifs dans lesquels il partage avec vous le fruit de ses réflexions et de ses investigations dans l'univers de la Blockchain, des Cryptos et de la Tech.

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