Budget de l’Etat en faillite : une année blanche est-elle la solution ?

Publié le - Auteur Par Tony L. -
Budget de l’Etat en faillite : une année blanche est-elle la solution ?

La dette publique française n’a cessé de croître depuis les années 1980, elle atteignait 82,3% du PIB en 2010 pour 1 591 milliards d’euros, et frôlait 113,7% du PIB (3 303 Md€) fin 2023. Dans le même temps, le déficit s’est envolé : il avoisine désormais 6% du PIB en 2024. Les prévisions officielles misaient sur 5,4% en 2025, grâce à 50 Md€ de « mesures d’austérité » déjà votées, puis 4,6% en 2026. Mais comme le rappelle l’IMF, sans mesures complémentaires le déficit resterait autour de 6% et la dette continuerait de grimper. Le Premier ministre François Bayrou admet implicitement que les ressources font défaut : la France « dépense 57% de [son] PIB contre 50% de recettes », faisant d’elle « le pays du monde qui dépense le plus d’argent public ». Or le pays n’en tire plus le niveau de vie promis (16ᵉ rang mondial en PIB par habitant). Malgré ces alertes, le gouvernement reste étonnamment inerte. Bayrou exclut toute solution « de facilité » – relever encore les prélèvements ou emprunter plus, la France ayant « le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé au monde » et s’approchant du « surendettement » – mais il ne propose rien à la hauteur des enjeux.

Qu’est-ce qu’une « année blanche » budgétaire ?

Dans le débat public français revient l’idée d’une « année blanche » pour 2026, afin de dépenser ni plus ni moins que l’année précédente. Selon Public Sénat, cela signifie « freiner la croissance de la dépense publique, en maintenant les dépenses de l’année à venir au niveau de celle en cours », au risque d’abaisser en pratique certains budgets (ministères, prestations sociales, dotations locales). La presse rapporte qu’au sein de la majorité certains plaident pour cette option : le député Mathieu Lefèvre (Renaissance) estime que 2026 doit « être une année blanche fiscale », gelant l’an prochain « les dépenses de l’État, les dotations aux collectivités et les dépenses de la Sécurité sociale à leur niveau actuel ». Au total, la dépense publique resterait alors de l’ordre de 1 700 Md€ en 2026, comme en 2025. Dans les faits, l’année blanche reviendrait à suspendre l’indexation des prestations sociales sur l’inflation (retraites, minima sociaux) et le point d’indice de la fonction publique, tout en gelant les barèmes fiscaux. Le ministère de l’Économie lui-même note que ce gel des barèmes entraînerait de fait 2,8 Md€ de recettes supplémentaires (une « hausse d’impôt déguisée ») au détriment des classes moyennes.

Exemples étrangers : Suède, Allemagne, Pays-Bas

L’idée n’est pas utopique. Comme le souligne l’Institut iFRAP, « il faut faire comme l’ont fait la Suède, l’Allemagne ou les Pays-Bas, geler en valeur les dépenses pour faire vraiment des économies ». Lors de leur crise des années 1990, ces pays ont imposé des restrictions brutales. En Suède, on est passé d’un déficit public de 7% du PIB en 1995 à des excédents permanents après 1998. Les gouvernements suédois ont réduit de 70 000 postes publics, relevé l’âge de la retraite et instauré une « règle d’or » budgétaire (excédent systématique de 2% du PIB). Conséquence : la dette publique suédoise a culminé à 88% du PIB en 1997 avant de chuter à moins de 60% dès 2002. Dans ces pays, la rigueur budgétaire n’a pas brisé la croissance – au contraire, le PIB suédois bondit de 26% entre 1993 et 1996, juste après les coupes budgétaires. L’Allemagne, quant à elle, a gravé dans sa Constitution le « frein à l’endettement » (Schuldenbremse) à partir de 2009, obligeant les gouvernements à tendre vers l’équilibre budgétaire (hormis les crises) au lieu de s’enfoncer sous le poids de la dette.

« Année blanche » : économies promises et réalité

Les partisans de l’année blanche vantent des gains budgétaires immédiats. Selon les calculs officiels, passer au gel général (pensions, salaires publics, aides sociales) dégagerait une trentaine de milliards d’euros par an. D’après le ministère, geler barèmes et prestations en 2026 permettrait d’économiser près de 28 milliards d’euros supplémentaires, ce qui réduirait le déficit. L’iFRAP propose même de ne pas dépasser 1 700 Md€ de dépenses l’an prochain. Dans le détail, on peut « geler l’évolution » d’environ 830 Md€ de dépenses (retraites 390 Md€, salaires publics 300 Md€, aides sociales 140 Md€), par exemple en retirant toute indexation sur l’inflation et en bloquant les avancements (GVT). Les défenseurs y voient un « effort rapide et indolore » pour tenir l’objectif – une sorte de « coup de rabot » universel, sans nouvelles réformes structurelles complexes à ce stade.

Les revers de médaille

Mais cette vision technocratique oublie l’impact social et économique. De nombreux économistes alertent sur les conséquences récessives d’un tel gel budgétaire. Selon Éric Berr (un universitaire cité par La Dépêche), sur le papier l’année blanche « réduit le poids des dépenses et peut augmenter les recettes » – mais « c’est une vision à très courte vue », car compresser le pouvoir d’achat des ménages modestes ralentit la croissance (la consommation populaire est un pilier de notre PIB). De fait, le « pactole » gagné comptablement risque de fondre sous l’effet du recul d’activité. Pire, le manque d’indexation est foncièrement inégalitaire : retirer 1% de pouvoir d’achat d’un foyer pauvre pèse beaucoup plus lourd que le même ménage fiscal élevé. La mesure vire ainsi à une « atteinte aux plus précaires » pour ses détracteurs – n’en déplaise aux technocrates vertueux qui prétendent que « l’excès de dépenses publiques ne fait pas le bonheur du peuple », comme le claironnait M. Bayrou. De surcroît, le Président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, met en garde : s’en tenir à un « one shot » n’est pas une politique durable. « On le fait une fois et après, qu’est-ce que vous faites ? […] Les efforts, ce n’est pas seulement en 2026 qu’il faut les faire », prévient-il, plaidant pour un rééquilibrage réparti sur plusieurs années plutôt qu’un simple coup de rabot ponctuel.

L’inertie gouvernementale

Or, face à ces analyses alarmantes, le gouvernement français s’en tient au statu quo. Matignon appelle 2026 un « Himalaya budgétaire » et dit viser 40 Md€ d’économies, mais reste étonnamment flou sur les moyens d’y parvenir. Au lieu de trancher, la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin botte en touche : « tout est sur la table », justifiant l’attentisme par la baisse d’inflation actuelle. Pendant ce temps, l’Assemblée doit d’abord rendre « ses contributions » pour, prétend-on, construire le plan final à la mi-juillet. Cette procrastination est grotesque : on a déjà tout calculé ! Comme le souligne Franceinfo, des parlementaires de la majorité ont fourni le diagnostic (dette abyssale, déficit chronique) et suggéré le remède (année blanche pure et simple). Bayrou lui-même reconnaît qu’en période d’urgence, certains pays avancés ont fait exactement ce qu’on propose de faire chez nous. Au lieu de cela, son discours s’enferme dans de belles formules creuses (« séduire par la production plutôt que la fiscalité ») et se borne à refuser l’évidence : la France, « au bord d’une situation de surendettement », n’a pas d’autres recettes faciles que payer plus d’impôts ou s’enfoncer davantage.

En conclusion, l’année blanche budgétaire serait déjà un premier levier de régulation pour rééquilibrer d’urgence les comptes publics, en stabilisant la dépense et en dégagent des marges pour réduire dette et déficit. Nos voisins nordiques l’ont fait avec succès dans le passé. Le vrai scandale, c’est que la France en discute mollement pendant que sa dette s’envole. Le gouvernement, campé dans son immobilisme coutumier, continue de « regarder le train passer » alors que les indicateurs économiques sonnent l’alerte générale. Une fois de plus, on lit dans les textes – ou dans les tweets d’iFRAP – la recette d’un redressement salvateur… mais pas dans les décisions du pouvoir. Les chiffres, eux, sont formels. L’heure n’est plus aux vœux pieux, mais à l’action concrète. Et vite.

Sources : ifrap.org, publicsenat.fr, ladepeche.fr, cnews.fr, lexpress.fr, bfmtv.com

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Par Tony L.

Passionné de technologie, Tony vous propose des articles et des dossiers exclusifs dans lesquels il partage avec vous le fruit de ses réflexions et de ses investigations dans l'univers de la Blockchain, des Cryptos et de la Tech.

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