Sécu : fraudes et erreurs dans la branche famille, un bilan alarmant

Publié le - Auteur Par Tony L. -
Sécu : fraudes et erreurs dans la branche famille, un bilan alarmant

La branche famille (assurée par la CAF/CNAF) a versé environ 104,5 milliards d’euros de prestations à 13,5 millions de ménages en 2023. Pourtant, la Cour des comptes révèle qu’à fin 2024 plus de 6,3 milliards d’euros ont été versés à tort ou non versés alors qu’ils l’auraient dû être. Ces montants non régularisés représentent environ 8% du total des prestations familiales, touchant en particulier le RSA, la prime d’activité et les aides au logement. Face à ces dérives, la Cour a refusé de certifier pour la troisième année consécutive les comptes de la branche famille (après 2022 et 2023). Failles structurelles dans le système social français, l’heure du passage à l’action aurait-elle sonné ?

Un système déclaratif complexe

Le fonctionnement même des aides sociales crée des erreurs. Le système français est une « sédimentation » historique de dispositifs et de règles fragmentées. Les durées de référence varient selon les aides (par exemple, le RSA et la prime se calculent sur les 3 derniers mois de revenus, alors que l’APL prend en compte les 12 derniers mois), ce qui rend le droit confus. Comme le note un rapport parlementaire, cette « complexité du système déclaratif » favorise le non-recours aux droits et les erreurs de gestion. Pour y remédier, les parlementaires ont même suggéré de créer un « revenu social de référence » harmonisant le calcul des ressources, à l’image du revenu fiscal de référence. En l’absence d’une telle simplification, chaque allocataire doit déclarer manuellement tout changement (emploi, déménagement, revenus, vie de famille, etc.). La Cour constate que nombre d’erreurs tiennent à des oublis ou confusions de la part des allocataires : « les écarts sont principalement dus aux erreurs commises par les allocataires lorsqu’ils remplissent leurs déclarations de ressources », explique Nicolas Grivel (directeur de la CNAF). En somme, un système ardu rend les bénéficiaires eux-mêmes responsables d’irrégularités fréquentes.

Contrôles insuffisants et fraude sous-estimée

Dans ce contexte, la détection des fraudes reste très limitée. Les contrôles réalisés par la CAF n’ont permis de repérer que 449 millions d’euros de fraudes en 2024 (soit +20% par rapport à 2023), un chiffre dérisoire à l’échelle des 4,9 milliards d’euros de fraude estimés annuellement dans la branche famille (dont environ 1,5 Md€ au RSA). Autrement dit, seuls quelques pourcents des fraudes potentielles sont contrôlés et recouvrés. Cette situation s’explique en grande partie par la raréfaction des vérifications. Entre 2018 et 2024 le nombre total de contrôles de la CAF est passé de 38,5 à 31,5 millions (–18,2 %). Plus encore, les contrôles traditionnels ont été drastiquement réduits : les vérifications sur pièces (courrier) ont chuté de 50% et les contrôles sur place (domicile) de 41 % sur cette période. L’effort est désormais concentré sur des contrôles plus ciblés (datamining, analyses de gros dossiers), et la CAF a mis en place en 2021 un Service national de lutte contre la fraude à forts enjeux (SNLFE) pour traquer les grandes fraudes. Mais ce service spécialisé (qui compte 43 agents en 2024) n’a pour l’heure permis de détecter que 21 M€ d’indu en 2022. Globalement, la lutte actuelle ratisse peu de gains, l’argent redirigé chaque année vers le budget public reste négligeable au regard des montants mis en jeu.

Modernisation tardive et efforts limités

Les mesures de modernisation arrivent très tardivement et peinent à réduire les erreurs. La CNAF souligne avoir lancé fin 2023 un « plan d’action partagé » pour améliorer le contrôle interne, mais la Cour constate qu’au bilan 2024 ces mesures n’ont « pas pu encore pleinement produire [leurs] effets ». Les progrès en matière d’informatisation ont été timides jusqu’à présent. À titre d’exemple, la réforme du « prélèvement de solidarité à la source » sociale (mise en œuvre en mars 2025) commence seulement à pré-remplir les déclarations des allocataires avec les données de l’employeur, du Pôle emploi ou de l’Assurance maladie. Ce dispositif devrait réduire les oublis, mais il arrive des années après que la Cour des comptes ait signalé la nécessité de s’appuyer sur les données fiscales. Des avancées récentes existent (octroi automatique de la CMU-C aux bénéficiaires du RSA, « contemporanéisation » des aides au logement pour ajuster les APL en temps réel), mais elles restent marginales. Un rapport parlementaire souligne que l’automatisation du calcul des droits (RSA, prime, APL) et la simplification juridique sont indispensables pour alléger les démarches des allocataires. En l’état, les outils de modernisation n’ont pas permis d’enrayer la croissance des erreurs dans un délai raisonnable.

Une absence de volonté politique manifeste

Au-delà des difficultés techniques, le retard dans l’action traduit un manque de volonté politique. La Cour des comptes ne cesse de critiquer l’inaction de l’État malgré ses alertes répétées. Pierre Moscovici (premier président de la Cour) a même menacé publiquement de ne plus certifier les comptes de l’État tant que ses recommandations ne seraient pas mieux suivies, déplorant « l’absence systématique de suites » données à l’acte de certification annuel. Concrètement, les mesures structurelles pour simplifier le système (harmonisation des règles, mise en place d’un guichet unique des droits, renforcement des échanges de données) n’ont toujours pas été engagées. L’inertie est telle que certains observateurs relèvent qu’ « une entreprise avec de telles dérives serait déjà placée en redressement judiciaire, tandis que dans le public tout continue comme si de rien n’était ». En l’absence de sanction ou de transformation en profondeur, la branche famille reste condamnée à répéter chaque année des écarts colossaux, au détriment de la fiabilité des comptes sociaux et de la confiance dans la gestion publique.

Et si la France s’inspirait du modèle américain pour réduire les fraudes administratives dans ses finances publiques ?

Y aurait-il des pistes concrètes pour mieux traquer, anticiper ou corriger ces anomalies, sans forcément augmenter les dépenses publiques ? La réponse pourrait bien se trouver dans une nouvelle approche initiée de l’autre côté de l’Atlantique.

Aux États-Unis, le DOGE – pour Department of Government Efficiency – montre son efficacité. Ce concept, à l’origine repris avec ironie mais porté par des figures comme Elon Musk, symbolise une volonté d’utiliser l’intelligence artificielle, l’automatisation, et une réforme des processus internes pour rendre l’administration plus fiable, rapide et efficiente. Donald Trump, dans ses récentes prises de parole, a évoqué son intention de « dégraisser la bureaucratie » et de moderniser l’appareil d’État via une meilleure gestion des données.

Et si la France adoptait un équivalent de ce DOGE, non pas en y injectant de nouveaux milliards, mais en tirant parti des outils numériques déjà disponibles ? Blockchain pour la traçabilité des opérations, IA pour détecter les anomalies comptables, plateformes interconnectées pour fluidifier les échanges entre administrations : les solutions existent, mais encore faut-il une volonté politique de les mettre en œuvre.

Au lieu de subir les conséquences d’erreurs souvent évitables – retards de paiement, trop-perçus, doublons ou pertes – il est peut-être temps d’envisager une refonte pragmatique et technologique de la gestion publique.

Car dans une époque où chaque euro compte, l’efficacité n’est plus un luxe, mais une nécessité.

Sources : rapports de la Cour des comptes, données de la Cnaf/Caf, europe1.fr, ifrap.org

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Par Tony L.

Passionné de technologie, Tony vous propose des articles et des dossiers exclusifs dans lesquels il partage avec vous le fruit de ses réflexions et de ses investigations dans l'univers de la Blockchain, des Cryptos et de la Tech.

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