« Contribution modeste » : quand Bercy repeint la taxe d’habitation en gris clair

Publié le - Auteur Par Tony L. -
« Contribution modeste » : quand Bercy repeint la taxe d’habitation en gris clair

La résurrection masquée d’un impôt local

François Rebsamen, fraîchement bombardé ministre de l’Aménagement du territoire, jure qu’il ne « recréera pas » la taxe d’habitation. Dans la même phrase, il annonce cependant une « contribution modeste » appelée à financer les communes : même animal, nouveau collier ; il fallait oser. La sortie, accordée à plusieurs médias le 27 avril, précise qu’il s’agirait d’un prélèvement payé par « tous les résidents », histoire de retisser le lien fiscal entre l’électeur et son maire, mais surtout de renflouer des caisses locales à sec.

20 milliards envolés, communes sous perfusion

Avant sa suppression en 2023, la taxe d’habitation rapportait environ 19 milliards d’euros par an aux communes et intercommunalités ; l’État y ajoutait 4 milliards pour compenser les exonérations. Depuis, les élus locaux bricolent : explosion de la taxe foncière, hausse des droits de mutation et rabotage des budgets d’entretien. Même l’Association des maires de France admet publiquement que le financement des services de base – voirie, propreté, culture – devient acrobatique. C’est donc la version fiscale du prestidigitateur : on fait disparaître un billet de 20 milliards devant le public, on le fait réapparaître sous une autre couleur, puis on applaudit la « modernité » du numéro.

Les Français : champions mondiaux du prélèvement

Rappelons le décor : avec 45,6% du PIB absorbé par les impôts et cotisations en 2023, la France garde la médaille d’or du fiscal dans l’Union européenne, loin devant la moyenne à 41%. Sur le salarié moyen, la part de la rémunération qui s’évapore entre l’employeur et le salarié atteint 46,8%, quatrième score de l’OCDE ; le podium est serré, mais nous tenons la corde. Pour les petites et moyennes entreprises, la pression frôle 10,5% du PIB après subventions ; record là encore.

Résumé lapidaire : dans d’autres pays, on travaille pour vivre ; ici on travaille d’abord pour alimenter Bercy, on vit avec le reste.

Bruxelles, la machine à normes qui coûte cher

Comme si cela ne suffisait pas, les collectivités digèrent en parallèle la directive européenne 2024/1275 sur la performance énergétique des bâtiments : isolation renforcée, équipements bas carbone, seuils plus sévères dès 2025. Le texte ne prévoit aucun fonds dédié, mais il impose des travaux souvent ruineux sur les écoles, gymnases et mairies. Les élus parleront d’écologie ; le trésorier municipal, lui, cocherait plutôt la case « dépenses obligatoires ». Dans la droite ligne du « budget vert » que les villes de plus de 3500 habitants doivent intégrer depuis janvier 2024, toutes ces exigences atterrissent sans ménagement sur le compte du contribuable local, du bon boulot s’il le but était d’appauvrir encore le français moyen.

Service public qui patine, addition qui grimpe

Regardons les choses en face, et c’est un paradoxe bien français : plus la pression fiscale augmente, plus la qualité perçue des services publics décline. Les urgences ferment la nuit, les TER cumulent retards et wagons hors d’âge, les tribunaux ploient sous les dossiers, et les rues s’éclairent au rabais pour cause de facture énergétique. Les 46% de PIB prélevés ne financent plus la « solidarité » vantée dans les discours, mais un mille-feuille institutionnel où chacun se renvoie la facture : État, régions, départements, communautés d’agglo, syndicats mixtes… jusqu’à Bruxelles qui ajoute son cahier des charges. Il ne restait qu’une chose : inventer un impôt de plus pour faire croire que l’argent pousse comme les platanes.

La modestie a un prix

Le plan se déroule donc sans accrocs :

  1. Supprimer la taxe d’habitation pour passer pour magnanime ;
  2. Laisser les communes puiser dans d’autres poches ;
  3. Relancer, trois ans plus tard, une « contribution modeste » au nom du lien civique ;
  4. Ajuster chaque année cette contribution au gré des besoins, technique dite « bouton du volume » brevetée lors de la création de la CSG.

Le gouvernement répète qu’il ne crée pas un impôt mais « un devoir citoyen ». On admirera la subtilité terminologique : en orfèvres du lexique, nos dirigeants transforment un vieux prélèvement honni en offrande philanthropique. Reste que, sur les feuilles d’impôts, la nuance s’efface à la vitesse de la gomme à encre : la somme due sera bien comptée en euros, prélevée sur le compte courant, et affectée à des services publics qui continuent de s’effilocher.

Ironie finale : la « contribution modeste » n’a pas encore de barème, mais on nous promet qu’elle sera « raisonnable ». On se permet donc un pari, raisonnable aujourd’hui, gourmande demain, pantagruélique après-demain. L’expression fiscale consacrée est « rendement dynamique ». Dans la vie courante, on appelle cela un impôt qui grossit. Les Français, déjà champions du monde pour le poids des prélèvements, apprécieront la performance artistique, faire payer plus pour recevoir moins, sans jamais prononcer le mot « impôt ». Le tour est tellement bien rodé qu’il mériterait une tournée européenne – en entrée gratuite, bien sûr, la sortie restant payante.

Connexe : Budget en faillite, État en surcharge : il est temps d’alléger la fonction publique

Sources : Maire Info, Le Figaro, European Commission, OCDE, EUR-Lex

 

Par Tony L.

Passionné de technologie, Tony vous propose des articles et des dossiers exclusifs dans lesquels il partage avec vous le fruit de ses réflexions et de ses investigations dans l'univers de la Blockchain, des Cryptos et de la Tech.

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