“La conscience, c’est la mémoire prolongée vers l’avenir comme un pont jeté sur le temps.”
Henri Bergson, philosophe français, prix Nobel de littérature en 1927
Alors que la mémoire collective garde en tête les chocs économiques récents, la conscience politique et sociale française est aujourd’hui tournée vers une question brûlante : où va le marché de l’emploi ? En toile de fond, un chiffre glaçant : près de 100 000 emplois détruits en France au seul quatrième trimestre 2024. Ce signal d’alarme, masqué derrière des taux de chômage globalement stables, annonce une mutation bien plus inquiétante du tissu économique français.
Près de 100 000 emplois détruits en trois mois : le bilan 2024 est lourd
Selon l’Insee et Les Échos, la France a perdu 97 300 emplois salariés au dernier trimestre 2024. Une chute brutale, jamais observée depuis la crise sanitaire. Sur l’ensemble de l’année, le solde net d’emploi salarié est passé dans le rouge, alors qu’il avait été positif les années précédentes.
Les secteurs les plus touchés sont :
- L’intérim, considéré comme un baromètre avancé de la santé économique, avec une baisse de 2,3% en trois mois.
- L’industrie, qui continue son déclin structurel avec une suppression de 18 000 postes en 2024, selon les données INSEE.
- Le BTP, affaibli par la hausse des taux d’intérêt et l’effondrement des mises en chantier, enregistre lui aussi un repli significatif.
Ces pertes sont concentrées dans les zones périurbaines et les régions industrielles historiques, là où la transition écologique et numérique peine à se traduire par des créations d’emplois massives.
Des chiffres officiels à relativiser
Le taux de chômage officiel est resté stable autour de 7,5% en 2024, selon l’Insee. Mais cette moyenne cache plusieurs réalités :
- Une forte hausse des demandeurs d’emploi en catégorie A (+5,2% sur l’année), selon France Bleu.
- Le “halo” autour du chômage, c’est-à-dire les personnes souhaitant travailler mais non comptabilisées dans les statistiques officielles, a explosé, en particulier chez les jeunes et les plus de 50 ans.
- Les temps partiels subis et les contrats courts restent massivement utilisés dans de nombreux secteurs, brouillant la frontière entre emploi et précarité.
Un gouvernement qui célèbre… 1 000 postes
Dans ce contexte tendu, Emmanuel Macron s’est félicité sur X (ex-Twitter) de la promesse de 1 000 nouveaux emplois par JPMorgan à Paris. Une annonce symbolique, destinée à montrer l’attractivité de la place financière française dans un monde post-Brexit.
Mais face aux 100 000 emplois perdus en trois mois, l’effet d’affichage interroge. Cela représente à peine 1% des pertes récentes. Le contraste est saisissant : pendant que la base de l’économie réelle s’effrite, les projecteurs restent braqués sur les vitrines internationales.
Quelles solutions pour inverser la tendance ?
Malgré ce tableau assombri, des pistes concrètes existent pour redresser la situation :
- Réorientation massive vers les métiers en tension
Selon Nouvelle Vie Pro, plus de 300 000 postes ne trouvent pas preneur en 2025, notamment dans le sanitaire, la logistique, la cybersécurité ou les énergies renouvelables. La formation accélérée des demandeurs d’emploi vers ces filières reste un levier puissant. - Réduction des charges sur les PME qui embauchent en CDI
Les TPE-PME, qui représentent près de 70% des emplois privés, réclament une simplification des aides à l’embauche et une fiscalité plus lisible pour stabiliser leurs effectifs. - Mobilité professionnelle et reconversion
Le CPF (Compte personnel de formation), s’il est bien utilisé, peut devenir un outil de reconversion efficace. Mais pour cela, il faut accompagner les publics fragiles (jeunes sans diplôme, seniors) avec des coachs emploi, comme le prévoient certaines expérimentations locales. - Développement de l’entrepreneuriat et du travail indépendant
Le micro-entrepreneuriat reste une soupape pour des milliers de Français. En 2024, plus d’un million de créations d’entreprise ont été enregistrées, un record selon l’Insee. Mais encore faut-il sécuriser ces parcours en facilitant l’accès à une protection sociale décente.
Une fracture entre chiffres macro et réalité du terrain
Le paradoxe français est là : des chiffres globaux qui rassurent, mais des foyers entiers où l’activité s’effondre. L’emploi évolue, se fragmente, se digitalise. Il ne disparaît pas, mais il change de nature. Et ce changement, mal anticipé, risque d’exclure durablement des millions de personnes du marché du travail.
Ce que montre 2024, c’est l’écart entre les grandes promesses politiques et la lente érosion de l’emploi qualifié, stable et durable. Le “plein emploi” reste une ambition. Mais sans actions fortes sur la formation, l’orientation professionnelle et l’investissement dans les PME, il risque de rester un slogan vide de sens.
Vers un avenir incertain ou une renaissance du travail ?
Si l’avenir est incertain, il est aussi porteur de potentialités. Le tissu économique français est encore riche de compétences, de savoir-faire et de capacité d’adaptation. Le défi est immense : accompagner la transformation du travail sans broyer ceux qui n’y sont pas préparés.
Henri Bergson avait raison : la mémoire seule ne suffit pas. C’est la conscience du présent et la volonté d’agir qui permettront de bâtir un futur où chacun pourra retrouver une place digne et utile dans la société.