La question de l’emploi des salariés les plus avancés en âge suscite ne date pas d’hier. En France, les indicateurs récents confirment que l’activité des 60-64 ans demeure à un niveau plus bas que dans certains pays voisins, malgré un rattrapage visible sur la tranche des 55-59 ans. Alors que l’évolution démographique remet en cause l’équilibre traditionnel entre générations, la valorisation du travail des plus de 50 ans devient un enjeu incontournable pour les entreprises et pour la société tout entière.
Un paysage contrasté en Europe
Depuis plusieurs années, les comparaisons avec les pays voisins révèlent un paradoxe français. Le taux d’activité des 55-59 ans s’est rapproché des niveaux observés au Royaume-Uni ou en Allemagne, mais la participation au marché du travail chute nettement après 60 ans, où moins de 40% des personnes se maintiennent en emploi. Cette différence résulte d’une conjonction de facteurs : politiques publiques visant parfois le départ anticipé en retraite, pratiques de gestion de carrières à l’ancienne, stéréotypes persistants sur la capacité d’adaptation des travailleurs expérimentés, ou encore faible accès à la formation continue après un certain âge.
Les comparaisons internationales pointent du doigt l’importance déterminante du regard porté sur les travailleurs de plus de 50 ans. En Allemagne, par exemple, la formation et l’évolution professionnelle tout au long du parcours demeurent davantage encouragées, ce qui favorise l’employabilité d’une main-d’œuvre expérimentée. En France, malgré une volonté affichée d’améliorer la situation, la discrimination liée à l’âge, souvent inconsciente, demeure un obstacle important pour l’embauche ou la promotion après 55 ans.
Des mécanismes de discrimination encore trop fréquents
La perception négative qui entoure parfois les travailleurs plus âgés influence leurs perspectives de carrière. Les sondages montrent qu’un candidat de plus de 50 ans a moins de chances d’être rappelé pour un entretien d’embauche, malgré un CV crédible et un parcours souvent riche. Les recruteurs craignent parfois des difficultés d’adaptation aux nouvelles technologies ou estiment, à tort, que la motivation fait défaut. Les entreprises peuvent aussi juger plus onéreux l’accès à des dispositifs de formation pour cette catégorie de salariés, alors que de nombreuses études montrent qu’un personnel plus expérimenté compense largement le coût de l’accompagnement par sa fiabilité et son expertise.
En outre, les réticences des employeurs s’ajoutent parfois à une forme d’autocensure des candidats. Après une période de chômage dépassant un certain seuil, une personne de plus de 55 ans hésite à postuler dans des secteurs qui exigent une remise à niveau régulière ou des compétences numériques pointues. Ce cercle vicieux contribue à ancrer dans les mentalités l’idée que le reclassement est plus compliqué une fois atteint un âge avancé.
Conférence nationale pour l’emploi des 50+ : cap sur l’action
Le 29 avril 2025, la ministre Astrid Panosyan-Bouvet organise une grande conférence au ministère du Travail intitulée « Emploi des 50+ : le passage à l’action », pour mobiliser autour de l’emploi des travailleurs expérimentés. Cet événement rassemblera entreprises, DRH, partenaires sociaux et institutions afin de partager des solutions concrètes pour mieux intégrer les salariés de plus de 50 ans, souvent victimes de discrimination à l’embauche et en formation.
Au programme : témoignages, bonnes pratiques, résultats d’enquêtes inédites et signature de la « Charte 50+ », visant à promouvoir des politiques inclusives. Cette dynamique sera suivie d’une campagne de communication nationale en mai-juin, ainsi que d’actions régionales dans toute la France (ateliers, événements, mobilisation des préfectures).
Enfin, un nouveau cadre légal sera présenté au Parlement en juin, reprenant les engagements de l’Accord national interprofessionnel de 2024. Il prévoit notamment un abaissement de l’âge pour la retraite progressive, un CDI spécifique pour les plus de 60 ans au chômage, et un renforcement des obligations de négociation sur l’emploi des seniors. L’objectif est clair : redonner toute leur place aux salariés expérimentés, face à une démographie en mutation et à un marché du travail en quête de compétences fiables.
Donner une seconde vie pro aux seniors : le plan se précise
Conscients de l’enjeu, les partenaires sociaux se sont penchés sur la question de l’emploi des seniors, et plusieurs étapes ont été franchies ces derniers mois. En novembre dernier, un accord interprofessionnel a été trouvé pour encourager le maintien en poste et l’embauche de personnes expérimentées. À la suite de cet accord, le gouvernement a élaboré un projet de loi qui doit franchir les dernières étapes législatives. Parmi les mesures phares, on trouve :
- L’obligation de négociation régulière dans les branches professionnelles et dans les entreprises d’au moins 300 salariés : chaque secteur et chaque employeur concerné devront définir des engagements précis pour renforcer la présence des seniors dans leurs effectifs.
- Un entretien de mi-carrière renforcé : il comporte désormais un volet santé, destiné à mieux évaluer et prévenir l’usure professionnelle, ainsi qu’une réflexion sur les compétences et la formation, afin d’anticiper les besoins de reconversion ou de montée en qualification.
- Un contrat réservé aux chômeurs de plus de 60 ans : baptisé « contrat de valorisation de l’expérience », ce dispositif souhaite faciliter l’embauche en offrant au recruteur plus de visibilité sur la durée de collaboration.
- La possibilité de temps partiel en fin de carrière et l’abaissement de l’âge d’accès à la retraite progressive à 60 ans : ces ajustements visent à rendre la transition plus souple entre activité à plein temps et fin d’activité.
En parallèle, la ministre en charge du Travail et de l’Emploi a lancé une conférence intitulée « Emploi des 50+ : le passage à l’action », rassemblant DRH, acteurs associatifs et grandes entreprises. L’objectif était de partager des témoignages et d’échanger sur les bonnes pratiques en termes de formation, d’organisation du temps de travail ou de sensibilisation à la discrimination liée à l’âge.
Vers plus de sensibilisation et de formation
Au-delà de l’aspect législatif, la communication et la formation demeurent deux leviers incontournables pour faire évoluer les mentalités. Une campagne diffusée dans les médias a ainsi été annoncée au printemps, afin de mettre en avant les atouts des salariés plus âgés : expertise technique, réseau professionnel, connaissance approfondie des process et adaptabilité lorsque l’on propose un accompagnement approprié. Plusieurs actions régionales sont aussi prévues, en partenariat avec les organisations d’employeurs, pour montrer de manière concrète comment les entreprises peuvent accueillir, former et soutenir leurs collaborateurs expérimentés.
Sur le terrain de la formation, l’enjeu consiste à inciter les travailleurs de plus de 50 ans à se projeter dans de nouveaux métiers ou de nouvelles modalités de travail. Certaines entreprises ont déjà développé des parcours spécifiques : bilan de compétences, tutorat inversé pour stimuler l’apprentissage numérique, sessions de perfectionnement ciblé. Ce type d’initiatives permet de conserver des talents et de transmettre un savoir-faire qui serait difficile à remplacer.
Un lien avec la prévention de l’usure professionnelle
La prolongation de la vie professionnelle est également liée à la santé au travail. Dans certaines branches, on constate que les conditions d’exercice induisent une fatigue plus rapide, qu’il s’agisse de port de charges lourdes, d’horaires décalés ou de travail répétitif. L’entretien de mi-carrière renforcé, prévu par le nouvel accord, apporte une prise de conscience au moment où une reconversion ou un aménagement du poste peuvent être envisagés. De plus, certains secteurs engagent dès à présent des démarches pour réduire la pénibilité et mieux gérer l’organisation du travail : ce type d’adaptation profite à tous les salariés, quel que soit leur âge, et encourage la capacité à rester en poste plus longtemps.
Les freins structurels du marché du travail
Plus largement, l’inclusion des plus de 50 ans se heurte à des mécanismes parfois ancrés de longue date dans le marché de l’emploi. Les plans de restructuration privilégient souvent les départs volontaires des seniors pour réduire rapidement la masse salariale, et les opportunités de reclassement interne ne sont pas toujours offertes à ceux qui ont accumulé un long parcours. En période de ralentissement économique, ces salariés deviennent la variable d’ajustement en priorité. Afin de changer cette dynamique, plusieurs économistes plaident pour une prise de conscience chez les dirigeants : embaucher ou maintenir en poste des collaborateurs expérimentés peut contribuer à la transmission des savoirs, à la stabilité sociale au sein des équipes et à la performance économique globale.
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