Plus d’1 million de Français ont renoncé à posséder une voiture en raison des contraintes économiques et écologiques.
D’après une étude d’OpinionWay pour LeasePlan, 15% des automobilistes ont vendu leur véhicule sans en racheter un, faute de moyens ou à cause des restrictions croissantes dans les zones à faibles émissions.
Ce chiffre, passé presque inaperçu, résume pourtant à lui seul l’essoufflement d’un modèle. Après des années à encourager coûte que coûte la transition vers l’électrique, le gouvernement amorce un virage brutal : depuis le 1er mai 2025, la carte grise des véhicules électriques devient payante dans la quasi-totalité des régions. Le symbole d’un changement de cap fiscal aux conséquences bien réelles.
Un cadeau fiscal qui n’aura duré qu’un temps
Depuis plus de dix ans, les voitures 100% électriques bénéficiaient d’une exonération totale de la taxe régionale de la carte grise, sur tout le territoire. Un levier puissant pour accélérer leur adoption.
Cette incitation s’ajoutait au bonus écologique, à la prime à la conversion et à d’autres avantages (accès gratuit à certains parkings, autorisation de circuler dans les ZFE, etc.). En quelques années, le véhicule électrique est ainsi passé d’un produit de niche à une alternative soutenue par les pouvoirs publics. En 2023, plus de 300 000 voitures électriques ont été immatriculées en France, soit 17% du marché total.
Mais cette dynamique s’essouffle. Depuis le 1er mai 2025, l’exonération de la carte grise a été supprimée dans toutes les régions, sauf en Corse.
C’est l’article 102 de la loi de finances pour 2024 qui a autorisé les régions à supprimer cette exonération. Et elles l’ont toutes fait.
Selon Service-Public.fr, le prix du cheval fiscal varie désormais de 27€ à 55€ selon les régions, ce qui peut faire grimper le prix de la carte grise jusqu’à 800€ pour certains modèles puissants.
Les aides à l’achat s’effondrent une à une
La carte grise n’est que le dernier domino d’une série de reculs sur les aides à la voiture électrique :
- Le bonus écologique, autrefois fixé à 7 000€, a été réduit à 4 000€ depuis janvier 2024, et des dizaines de modèles chinois en ont été exclus.
- La prime à la conversion a vu ses critères de revenus renforcés, rendant l’aide inaccessible à de nombreux ménages de classe moyenne.
- Certaines collectivités, comme l’Île-de-France, ont également supprimé ou réduit leurs bonus locaux.
Résultat : les ventes de voitures électriques neuves stagnent, et le marché de l’occasion ne décolle pas. D’après l’Observatoire Cetelem, plus de 50% des Français estiment que l’électrique reste hors de prix, même avec les aides.
Une industrie en pleine réorganisation
Les effets de ce ralentissement commencent à se faire sentir chez les constructeurs et équipementiers. Plusieurs signaux faibles inquiètent :
- La Fiat 500e, l’un des modèles électriques les plus vendus en Europe, a vu sa production suspendue temporairement, faute de demande.
- En France, plusieurs lignes de production sont à l’arrêt ou restructurées, notamment dans les usines de sous-traitance qui produisent pour Stellantis ou Renault.
- Les PME du secteur automobile, notamment dans l’ouest et le nord de la France, subissent une baisse brutale des commandes sur les véhicules électriques d’entrée de gamme.
Le pari de l’électrique devait réindustrialiser une partie du territoire. Pour l’instant, il désorganise plus qu’il ne dynamise.
Pourquoi cette volte-face fiscale ?
Plusieurs raisons expliquent ce coup d’arrêt :
- Des finances publiques sous pression, avec un déficit à 5,5% du PIB fin 2024, forçant l’État à couper dans toutes les dépenses fiscales.
- Une volonté de rééquilibrage fiscal, après les critiques pointant le fait que les aides à l’électrique bénéficient d’abord aux ménages aisés.
- Et un changement de cap stratégique : désormais, la priorité semble être d’assainir les comptes avant les élections de 2027, quitte à freiner la transition verte.
Dans les faits, les ménages modestes se retrouvent à nouveau exclus du marché de la voiture propre, tandis que les classes moyennes se sentent trahies par un discours écologique devenu instable.
Une exception : la Corse maintient la gratuité
La seule région à avoir conservé l’exonération totale de la carte grise pour les véhicules électriques est la Corse. Pour des raisons géographiques, logistiques et politiques, l’île continue d’offrir cet avantage, comme l’indique Le Figaro.
Mais cela reste l’arbre qui cache une forêt de nouvelles contraintes pour les automobilistes sur le continent.
Quel avenir pour la voiture électrique ?
À moyen terme, le marché électrique français devra s’adapter à une normalisation fiscale. Finies les largesses : les voitures électriques seront soumises aux mêmes règles que les autres.
Sans aides massives, le secteur va devoir compter sur une baisse réelle des prix, des améliorations techniques (autonomie, recharge), et surtout le développement d’un marché de l’occasion crédible.
Aujourd’hui, une voiture électrique d’occasion reste difficile à revendre en dehors des grandes agglomérations. Et les infrastructures de recharge, malgré les annonces, restent très inégalement réparties sur le territoire.
De la carotte au bâton
La suppression de la gratuité de la carte grise sonne la fin d’une ère fiscale privilégiée pour l’électrique. Ce qui était présenté comme un changement de civilisation semble désormais se heurter à la réalité budgétaire et sociale.
Le pari écologique français vacille, pris en étau entre les exigences économiques, les limites technologiques et la lassitude d’une population ballotée par les décisions successives.
La route vers une mobilité durable n’est pas interrompue, mais elle vient de perdre ses amortisseurs.