En France, les fournisseurs de réseaux privés virtuels (VPN) tels que NordVPN, ExpressVPN ou ProtonVPN pourraient prochainement devenir difficilement accessibles, voire quitter définitivement le territoire. La raison ? Une action en justice lancée fin 2024 par Canal+ et la Ligue professionnelle de football (LFP). Ces derniers entendent obtenir des tribunaux que les VPN bloquent l’accès à certains sites web jugés illicites, notamment ceux diffusant illégalement des retransmissions sportives protégées par des droits d’auteur.
Pour comprendre cette offensive judiciaire, il faut rappeler que les VPN permettent aux internautes de naviguer de manière plus sécurisée et anonyme, notamment en chiffrant leurs connexions et en masquant leur adresse IP réelle. Cette technologie est particulièrement utilisée en France, avec près de 29 % des internautes français qui ont recours à un VPN, selon l’Arcom. Parmi eux, certains utilisateurs détournent néanmoins cet usage à des fins illicites, notamment pour contourner les restrictions géographiques imposées par les plateformes de streaming et accéder à des contenus protégés par le droit d’auteur.
Canal+ et la LFP, titulaires des droits de retransmission de nombreux événements sportifs en France, considèrent ainsi que ces VPN facilitent indirectement le piratage en permettant aux internautes de contourner les mesures de blocage mises en place par les fournisseurs d’accès internet (FAI). En s’appuyant sur l’article L333-10 du Code du sport, qui prévoit que les ayants droit peuvent demander des mesures judiciaires pour empêcher ou arrêter les atteintes à leurs droits, les deux organisations ont choisi de cibler directement les fournisseurs de VPN dont les plus connus comme NordVPN, Express VPN ou ProtonVPN.
Les sociétés visées par cette action, regroupées notamment au sein du consortium VPN Trust Initiative (VTI), rejettent catégoriquement ces accusations. Leur argument principal repose sur le fait que leurs services ne stockent pas, n’hébergent pas et ne font pas la promotion de contenus illégaux. Ces acteurs soulignent que leur activité se limite exclusivement à offrir une infrastructure sécurisée, indispensable pour protéger la confidentialité et la sécurité des données personnelles des utilisateurs.
L’enjeu pour ces entreprises est considérable. Accepter ces demandes reviendrait à compromettre leur principe fondamental de neutralité, puisque cela les obligerait à surveiller ou à contrôler indirectement les activités en ligne des utilisateurs. Une telle situation pourrait pousser plusieurs d’entre elles à quitter le marché français, préférant se retirer plutôt que d’accepter des conditions incompatibles avec leurs engagements vis-à-vis de leurs utilisateurs.
Le cas récent d’OpenDNS, propriété du géant Cisco, illustre bien ce scénario potentiel. En 2024, confronté à une décision judiciaire similaire en vertu du même article du Code du sport, OpenDNS a choisi d’arrêter ses services en France, estimant impossible de respecter ces contraintes sans remettre en cause ses propres engagements techniques et éthiques. Ce précédent juridique alimente aujourd’hui les inquiétudes concernant un départ massif des principaux fournisseurs de VPN si la justice venait à donner raison à Canal+ et à la LFP.
Derrière cette action judiciaire se profile donc une question plus large, celle du rapport entre la lutte contre le piratage et le respect de la vie privée des internautes français. L’usage des VPN dépasse en effet largement la seule question du piratage : ces outils sont souvent essentiels pour protéger les données personnelles, notamment face aux cyberattaques, à la surveillance généralisée, ou pour contourner la censure dans certains contextes internationaux.
Par ailleurs, si cette action judiciaire aboutit à une obligation de filtrage imposée aux VPN, elle pourrait créer un précédent préoccupant en matière de droits numériques. Les fournisseurs de VPN deviendraient ainsi indirectement responsables des activités réalisées par leurs utilisateurs, une situation inédite et potentiellement lourde de conséquences. L’impact pourrait dépasser le cadre français et influencer les régulations dans d’autres pays européens, voire au-delà.
À ce jour, la réponse des tribunaux reste incertaine, mais l’audience prévue au tribunal judiciaire de Paris en mars 2025 pourrait constituer un moment décisif pour l’avenir des VPN en France. Si la décision confirme les demandes des ayants droit, plusieurs entreprises majeures du secteur risquent de se retirer du marché français, privant ainsi les utilisateurs d’un outil largement utilisé et jugé essentiel par de nombreux experts en sécurité informatique.
En définitive, le débat dépasse largement la seule lutte contre le piratage et pose la question du maintien d’une technologie cruciale pour préserver la confidentialité et la sécurité en ligne. La décision des tribunaux français pourrait bien influencer durablement la disponibilité des VPN en France, avec des répercussions possibles sur la manière dont les internautes peuvent encore naviguer librement et en sécurité sur Internet.
Interdire ou restreindre fortement l’accès aux VPN porterait atteinte aux libertés individuelles, notamment au droit à la confidentialité et à l’anonymat en ligne. En effet, ces outils ne servent pas uniquement à contourner les restrictions géographiques ou à accéder illégalement à des contenus protégés. Ils jouent un rôle important dans la protection contre les abus, la surveillance excessive et le vol de données sensibles. Priver les utilisateurs français de cette possibilité de protéger leur vie privée reviendrait à les exposer davantage aux risques numériques, à une époque où la sécurité en ligne est plus que jamais nécessaire et constituerait une grave atteinte de plus sur le territoire contre les droits fondamentaux des individus.