
Des milliards introuvables dans le maquis des subventions
Un récent rapport spécial de la Cour des comptes européenne jette une lumière crue sur la manière dont Bruxelles finance les organisations non-gouvernementales (ONG). Entre 2021 et 2023, 7,4 milliards d’euros ont été versés à des ONG – plus de 12 000 organismes bénéficiaires – sans qu’aucune vue d’ensemble fiable ne soit disponible sur l’usage de ces fonds. Moins de 4 % du budget européen, certes, mais une manne tout de même conséquente. Or, les auditeurs soulignent que la Commission européenne n’a pas correctement divulgué certaines activités de lobbying financées par l’UE, et ne vérifie pas si les ONG subventionnées respectent les valeurs de l’Union. De plus, il n’existe aucune définition claire de ce qu’est une « ONG » au niveau de l’UE – pas plus en droit français ou allemand, note ironiquement la Cour – compliquant le suivi des financements.
Résultat : plus d’un quart des entités examinées étaient indûment enregistrées comme ONG, et aucune vérification n’est faite pour déceler d’éventuelles influences étatiques ou intérêts commerciaux cachés derrière ces associations. En somme, Bruxelles a distribué ces milliards dans un brouillard administratif tel qu’il est « difficilement accessible, voire introuvable » de savoir qui touche quoi. On se demande alors où va notre argent ?
Des ONG exemplaires… ou douteuses ?
Si l’Union européenne justifie ce soutien massif par le rôle essentiel de la « société civile », la réalité de certaines ONG subventionnées de Bruxelles fait tousser. Transparence, éthique, bonnes pratiques ? Pas toujours au rendez-vous. Quelques exemples suffisent à écorner l’image lisse du monde associatif financé par l’UE.
Un magasin Oxfam au Royaume-Uni. L’ONG humanitaire, largement financée par des fonds publics, a vu sa réputation ternie par un scandale sexuel en 2018.
Prenons Oxfam, géant humanitaire bénéficiaire de fonds européens. En 2018, l’ONG est éclaboussée par un scandale sexuel : plusieurs de ses employés auraient exploité des victimes du séisme en Haïti. Bruxelles, alertée, envisage alors de lui retirer jusqu’à 32 millions d’euros de financements. L’affaire a mis en lumière un paradoxe gênant : une organisation prônant des valeurs exemplaires peut, une fois l’argent versé, sombrer dans l’abus le plus sordide. La vertu affichée n’immunise pas contre les dérives, fût-ce sous pavillon humanitaire.
Autre cas épineux : l’Union a financé des ONG accusées de proximité avec des milieux extrémistes islamistes. Un exposé du Sénat français a révélé que, sur la dernière décennie, l’UE a versé plus de 12 millions d’euros à l’ENAR – un réseau se disant antiraciste dont plusieurs dirigeants sont liés aux Frères musulmans – ainsi que plus de 7 millions d’euros à Islamic Relief (y compris sa branche allemande), une ONG régulièrement soupçonnée de connivences islamistes. Financées au nom de la lutte contre les discriminations ou de l’aide humanitaire, ces organisations font face à des accusations graves quant à leurs accointances idéologiques. Difficile de ne pas s’interroger sur les contradictions d’un financement européen qui, faute de contrôle, peut alimenter des causes à l’opposé des valeurs proclamées de l’Union.
Enfin, toutes les subventions ne se valent pas – certaines ONG semblent plus égales que d’autres. Entre clientélisme et négligence, l’audit européen souligne que les fonds sont très concentrés : plus de 40 % de l’enveloppe (près de 3 milliards d’euros) ont bénéficié à seulement 30 organisations triées sur le volet. On est loin de la multitude d’associations locales modestes : ce sont les grands réseaux transnationaux – ceux qui ont pignon sur Bruxelles – qui raflent la mise. Un tel biais alimente les soupçons de favoritisme et d’opacité. Quand les mêmes structures, année après année, touchent le jackpot européen, s’agit-il de soutenir la société civile ou bien de choyer un cercle d’initiés ? Le doute est permis.
Lobbying à Bruxelles : la Commission finance-t-elle ses propres avocats ?
Le cœur du problème réside peut-être dans un jeu d’influence trouble entre les ONG et les institutions européennes. Bruxelles est le royaume des lobbies – industriels, certes, mais aussi ONG. Des milliers de représentants d’« intérêts » y arpentent les couloirs. Officiellement, les ONG offrent l’expertise citoyenne et la voix des sans-voix. Officieusement, leur lobbying intense façonne aussi les décisions, d’autant plus lorsque l’argent public huile les rouages.
Manifestation écologiste organisée par WWF et d’autres ONG à Berlin en 2021. « Klimaschutz jetzt! » – « La protection du climat, maintenant ! » – clame la banderole, reflétant le mot d’ordre de nombreuses associations subventionnées à Bruxelles.
Un cas d’école a fait scandale récemment : le “Greengate” ou lobbying fantôme du Pacte vert. On a découvert que la Commission européenne d’Ursula von der Leyen avait rémunéré plusieurs ONG environnementales – parmi lesquelles le Bureau européen de l’environnement (EEB), Friends of the Earth Europe ou Climate Action Network – pour promouvoir activement son ambitieux Pacte vert auprès des eurodéputés. Autrement dit, la Commission a subventionné des campagnes de pression ciblant le Parlement, menées par des groupes présentés comme indépendants… mais payés sur fonds européens. « La Commission en est arrivée à faire pression sur elle-même en prétendant que ce sont des actions de lobbyistes indépendants », a résumé, atterrée, l’eurodéputée Monika Hohlmeier (PPE). Les documents exhumés par le contrôle budgétaire ont de quoi stupéfier : des contrats de l’ordre de 15 millions d’euros en 2024 prévoyaient que ces ONG ciblent nommément certains élus pour les convaincre d’adopter les propositions climatiques de Bruxelles. Le serpent se mord la queue : l’exécutif européen finance ses propres soutiens pour contourner les réticences démocratiques. Cette instrumentalisation des ONG – transformées en courroies de transmission de la Commission – brouille totalement la frontière entre intérêt général et agenda institutionnel.
Les ONG, elles, s’en défendent et dénoncent une attaque politique. Beaucoup dépendent financièrement de Bruxelles (certaines tirent jusqu’à la moitié de leur budget de subventions de l’UE) et se voient comme un contre-poids aux lobbies industriels. Il n’empêche que cet enchevêtrement des rôles pose question. Ainsi, pour éviter de froisser leurs bailleurs, plusieurs ONG vertes ont dû discrètement retirer de leur communication toute mention d’activités de plaidoyer, condition sine qua non pour continuer à bénéficier des subventions du programme Life. On marche sur la tête : les ONG ne peuvent avouer le lobbying qu’elles mènent… grâce aux fonds européens, sous peine de perdre ces mêmes fonds. Ce jeu du chat et de la souris illustre le malaise d’un système où l’UE paye des militants qui, en retour, influencent l’UE. À qui profite réellement ce cercle vertueux – ou vicieux ? Aux citoyens, ou à la Commission elle-même ? La réponse s’impose d’elle-même.
Les bénéficiaires de ces largesses sont, de surcroît, tout sauf politiquement neutres. La Cour des comptes note que beaucoup d’ONG subventionnées mènent un véritable militantisme politique, souvent aligné sur les priorités idéologiques de la Commission. Ouverture des frontières, promotion du multiculturalisme et des droits LGBT, radicalité climatique – autant de causes « woke » ou mondialistes promues par des acteurs se présentant comme de simples associations citoyennes. Pour le groupe conservateur Patriotes pour l’Europe, ces ONG agissent en réalité comme des « réseaux d’activistes politiques » sous couvert de société civile. On pourrait en rire si le contribuable européen n’en faisait pas les frais. Car au final, cette galaxie associative subventionnée forme un puissant lobby d’influence à Bruxelles – un lobby nourri par l’argent public, dont la proximité idéologique avec la sphère dirigeante européenne soulève un évident conflit d’intérêts.
L’UE plus laxiste que l’ONU ou la Banque mondiale ?
Le tableau serait incomplet sans une comparaison avec d’autres institutions internationales. Après tout, l’Union européenne n’est pas la seule à financer des ONG. Mais elle le fait d’une manière singulièrement peu contrôlée. Ni l’ONU, ni la Banque mondiale – souvent critiquées pourtant pour leur bureaucratie – ne semblent atteindre un tel niveau de flou dans la gestion de fonds. Au sein des Nations unies, les ONG bénéficient certes de subventions ou de statut consultatif, mais sous l’œil sourcilleux des États membres. La Banque mondiale, de son côté, n’octroie généralement des financements qu’à travers des projets assortis de stricts audits, où chaque dollar doit être justifié. En comparaison, Bruxelles fait figure de parent prodigue un peu naïf, éparpillant ses subventions sans suivi adéquat. La Cour des comptes elle-même juge ces pratiques « incompréhensibles et injustifiables » – des subventions largement ignorées du grand public et échappant à tout contrôle démocratique réel. Lorsque l’UE se targue d’être un modèle de gouvernance, la réalité de sa politique de subventions aux ONG fait sourire jaune.
Certes, face aux scandales, des réactions commencent à poindre : demandes de transparence, menace de gels de crédits, saisine de la Médiatrice européenne… Mais l’édifice résiste. Les précédents montrent que la Commission a souvent ignoré les remontrances sur ce terrain, comme si la machine bureaucratique européenne se protégeait elle-même. Ironie de l’histoire, c’est l’UE, si prompte à donner des leçons de bonne gestion ailleurs, qui se retrouve aujourd’hui épinglée. Qatargate avait révélé des valises de billets pour acheter des voix ; voilà maintenant qu’un audit dévoile des milliards dispersés sans boussole claire. Dans un cas, l’ingérence venait de dictatures étrangères ; dans l’autre, l’opacité semble érigée de l’intérieur en mode de gestion.
En conclusion, ce rapport accablant confirme ce que certains observateurs soupçonnaient depuis longtemps : une vaste zone grise dans la gestion des subventions européennes aux ONG. Entre bonnes intentions et naïveté, entre influence et dépendance, l’Union européenne s’est mise elle-même dans une position intenable. « Ce n’est pas de la société civile, c’est de l’activisme financé par l’UE », résume en une formule cinglante un député européen critique. Les contribuables, eux, seraient en droit de demander des comptes. Car à l’heure où Bruxelles prône la transparence et l’état de droit, voir ainsi 7 milliards d’euros naviguer en eaux troubles a de quoi laisser perplexe – pour ne pas dire amer. Les faits sont là, et ils parlent d’eux-mêmes.
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