Le développement d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) prend une ampleur particulière en Europe, alors même que l’administration américaine du second mandat de Donald Trump campe sur une position radicalement différente. Les annonces récentes de la Banque centrale européenne (BCE) confirment une accélération de l’initiative liée à l’euro numérique, tandis que les États-Unis renforcent leurs mesures interdisant toute avancée sur un dollar numérique.
Un projet européen en deux étapes
La BCE a récemment fait savoir qu’elle souhaitait approfondir l’utilisation d’une MNBC (ou CBDC pour Central Bank Digital Currency) pour le règlement des transactions interbancaires. Ce projet se déclinera en deux grandes phases :
- Dans un premier temps, la mise en place d’une plateforme destinée au règlement en monnaie numérique entre institutions financières. Les détails concernant le calendrier de ce développement devraient être clarifiés prochainement.
- Par la suite, la BCE se penchera sur des solutions plus globales et durables, incluant des opérations internationales, comme le règlement de transactions de change.
Selon Piero Cipollone, membre du directoire de la BCE chargé du projet, cette approche se veut à la fois innovante et respectueuse des impératifs de sécurité financière. Il insiste sur la volonté de la BCE de favoriser un écosystème européen unifié et cohérent, tout en maintenant le rôle essentiel de TARGET, l’infrastructure actuelle de règlement interbancaire en temps réel.
Une volonté d’innovation couplée à des garanties de stabilité
Dans ses derniers communiqués, la BCE rappelle qu’elle continuera à analyser les technologies émergentes et à dialoguer avec les acteurs publics et privés. Cette ouverture vers l’innovation se double d’un engagement à préserver la solidité et l’efficacité des systèmes de paiement en place. L’ambition est d’intégrer de nouveaux outils numériques, sans pour autant affaiblir la fiabilité qui caractérise les mécanismes existants.
Par ailleurs, cette démarche n’est pas menée en vase clos, du moins par rapport aux institutions. Depuis un certain temps déjà, la BCE explore la piste d’un euro numérique à usage de détail et de nouveaux moyens de règlement transfrontalier entre banques centrales. L’annonce du prolongement du projet confirme l’enthousiasme des instances européennes pour un modèle monétaire capable de s’adapter aux transformations technologiques.
La préparation de l’euro numérique : avancées récentes
Le 1ᵉʳ novembre 2023 a marqué le début de la « phase de préparation » du futur euro numérique. Cette période a pour but de poser les bases nécessaires à une éventuelle émission. Dès le 24 juin 2024, un premier rapport a été publié, détaillant les fonctionnalités hors-ligne, les plafonds de détention envisagés, ainsi que les résultats d’un premier appel d’offres pour les prestataires techniques. Une large place a aussi été accordée à la question de la confidentialité, la BCE ayant indiqué vouloir trouver des solutions pour garantir un usage anonyme ou quasi-anonyme.
En novembre 2024, la BCE a lancé un nouvel appel à partenariats afin de tester les paiements conditionnels en mode expérimental à partir de février 2025, tout en encourageant les propositions liées à la tokenisation et à d’autres usages novateurs. Autant d’initiatives qui témoignent de l’effervescence autour du sujet, et qui contrastent fortement avec le climat américain.
Un refus assumé de la part des États-unis
Alors que l’Europe avance sur les monnaies numériques, les États-Unis se tiennent, pour leur part, à l’écart d’une telle initiative. Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump applique avec méthode les promesses énoncées durant sa campagne : la mise en place d’un dollar numérique est strictement rejetée.
En janvier dernier, lors d’un discours à Portsmouth, dans le New Hampshire, il a réaffirmé son hostilité à toute forme de MNBC, estimant qu’elle représenterait un outil de contrôle excessif du gouvernement sur les finances individuelles. Plus tard, au cours d’une intervention devant les acteurs du secteur des cryptomonnaies, il a martelé qu’il n’existerait jamais de monnaie numérique de banque centrale sous son mandat, ordonnant à plusieurs administrations de stopper toute initiative en ce sens.
Des mesures législatives musclées contre le dollar numérique
Ce positionnement ferme trouve écho dans le Congrès américain. Plusieurs élus républicains ont récemment déposé des projets de loi visant à empêcher la Réserve fédérale d’émettre une monnaie numérique. Le plus récent, proposé le 18 février par le représentant Andy Ogles (R-TN), entend modifier le Federal Reserve Act de 1913 afin de rendre illégale l’émission d’un dollar numérique par les banques de la Fed.
De façon parallèle, certaines législatures d’États ont devancé ces initiatives fédérales : la Louisiane a formalisé l’interdiction d’accepter ou de faciliter l’usage d’une MNBC, et la Caroline du Nord a fait de même en freinant l’adoption d’une monnaie numérique nationale au niveau local. Ces efforts reflètent une véritable volonté politique de fermer la porte à ce type d’innovation monétaire, considérée comme contraire à l’esprit de liberté économique défendu par la majorité républicaine actuelle.
Une divergence grandissante entre l’Union européenne et les États-unis
Cet écart entre la dynamique européenne et l’approche américaine en matière de MNBC ne cesse de se creuser. Alors que Bruxelles met l’accent sur la complémentarité entre solutions numériques et systèmes de paiement existants, Washington intensifie ses obstacles réglementaires et politiques, au point d’interdire formellement tout projet de dollar numérique.
Cette différence de perspectives pourrait engendrer des conséquences économiques et géopolitiques dans un futur proche. Les banques et les entreprises européennes se préparent déjà à opérer dans un environnement où l’euro numérique deviendra peut-être monnaie courante, alors que les institutions financières américaines doivent composer avec un cadre législatif restrictif. D’un côté, l’Europe souhaite donc renforcer son contrôle monétaire tout en préservant la solidité financière de la zone euro. De l’autre côté, les États-Unis privilégient un modèle où les cryptomonnaies et l’auto-conservation des actifs numériques restent prédominants, mais où la Banque centrale américaine n’aura pas le droit de créer un outil numérique officiel.
Ceci nous en dit long sur la différence de gouvernance actuelle des deux côtés de l’Atlantique. En effet, aux États-Unis, l’administration Trump souligne régulièrement que la majorité des citoyens se montrent réfractaires à l’idée d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC). Cette réticence populaire se reflète dans les discours politiques, Donald Trump lui-même déclare vouloir protéger les libertés individuelles, ce qui inclut le refus d’un dollar numérique perçu comme un moyen de contrôle gouvernemental accru. Dans ce contexte, le gouvernement met en avant un alignement sur l’opinion publique et adopte une ligne politique claire : pas de MNBC sous sa présidence.
En revanche, en Europe, la Banque centrale européenne (BCE) et les dirigeants de l’Union poursuivent leur travail autour de l’euro numérique sans recourir à une large consultation citoyenne. Le débat se déroule surtout dans des cercles institutionnels ou techniques, tandis que le grand public dispose de peu d’informations sur les implications et l’orientation finale du projet. Les décisions se construisent ainsi dans un cadre davantage centré sur les experts et les responsables politiques, où les avis des citoyens sont moins sollicités ou relayés par les grands médias.
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