
Le 17 avril, Donald Trump a brisé tous les codes de la politique monétaire en réclamant publiquement la révocation de Jerome Powell. Sur son réseau TruthSocial, le président a qualifié le patron de la Réserve fédérale de « trop lent » et « inapte », l’accusant d’étouffer la croissance alors même que les prix de l’énergie et de l’alimentaire reculent. Pour l’hôte de la Maison-Blanche, la situation est limpide : si l’European Central Bank peut abaisser son taux directeur pour la septième fois depuis mi-2024, rien ne justifie que la Fed campe à 4,25 – 4,5%. Il faut agir « maintenant » pour rendre l’Amérique plus compétitive — et peu importe le tabou de l’indépendance de la banque centrale.
La ligne rouge de la Banque centrale mise à nu
Jerome Powell a répondu en rappelant que son mandat s’achève en 2026 – et qu’aucun président ne peut limoger le chef de la Fed. Trump, loin de reculer, a déposé auprès de la Cour suprême une requête visant à donner au pouvoir exécutif la possibilité de démettre les responsables d’agences dites « indépendantes ». Si la haute juridiction valide ce recours, le principe sacro-saint d’autonomie monétaire américain pourrait voler en éclats, ouvrant la voie à une refonte complète de la gouvernance financière nationale.
Tarifs douaniers : levier offensif pour un nouveau cycle
La même logique d’affirmation souveraine se lit dans la surtaxation massive dévoilée le 2 avril : 10% à 49% sur les importations de 185 pays, jusqu’à 145% sur les produits chinois. Les adversaires y voient un risque d’inflation et de représailles commerciales ; Trump rétorque que cette manne tarifaire, déjà mesurable « en milliards chaque semaine », compense tout effet haussier sur les prix et autorise une baisse rapide des taux. Pour lui, le couple « prix à la consommation en repli + recettes douanières solides » procure une marge de manœuvre inédite.
La Fed face à son propre mur
Kash Patel, fraîchement nommé à la tête du FBI, vient de lever le voile sur un secret de Polichinelle : « La Réserve fédérale n’est pas publique ; c’est un cartel privé. » Sur sa vidéo devenue virale, le pull arborant le crâne du Punisher sous une coiffure façon Trump côtoie un tableau de tempête en arrière plan ; le symbole n’échappe à personne. Patel dénonce la structure actionnariale de la Fed, où les banques régionales appartiennent aux établissements qu’elles sont censées surveiller : « Les barons voleurs manipulent la monnaie à leur profit. » Pour lui, seul un audit intégral et un retour du contrôle monétaire au Congrès rétabliront une réelle responsabilité démocratique.
La Maison-Blanche entend s’appuyer sur cet argument pour « déverrouiller » la première institution financière mondiale de l’intérieur. Dans les couloirs, on travaille déjà à un plan de remplacement du dollar-réserve par une unité « Constitutionnelle » adossée à un panier de biens stratégiques — énergie, métaux critiques et blé. Cette monnaie « hard-asset » couperait court à toute création monétaire discrétionnaire et remettrait l’épargne des ménages au cœur du jeu.
L’Europe sous anesthésie de la BCE
Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, la Banque centrale européenne poursuit sa descente des taux, désormais placés à 2,25%. Officiellement, il s’agit de soutenir une zone euro que les droits de douane américains déséquilibrent un peu plus chaque mois. En réalité, ce dosage permanent d’argent peu cher nourrit une dépendance insidieuse : ménages sous perfusion de crédit, États gavés d’obligations à rendement minimal, banques zombifiées incapables de financer l’innovation. En acceptant ce traitement, Francfort affaiblit la capacité d’adaptation du Vieux Continent.
Pour Trump, la comparaison est sans appel : l’Amérique doit se désengager de cette « course vers le bas » orchestrée par les technocrates européens et proclamer haut et fort sa primauté industrielle. Si la Fed persiste dans la retenue, la politique tarifaire fera office de dérivation, puis viendra l’heure de la réforme totale.
Une révolution au service des citoyens
Pourquoi ce bouleversement serait-il favorable au reste du monde ? D’abord parce qu’un dollar géré par une entité redevable devant les élus, et non devant Wall Street, limiterait les fuites de capitaux vers la spéculation globale. Ensuite parce qu’un ajustement ordonné des chaînes de valeur, sous l’effet des droits de douane, redistribuerait les cartes en faveur des économies locales : relocalisation de la production, diversification des approvisionnements, robustesse accrue face aux chocs extérieurs.
Les banques centrales, jusque-là guidées par la sacro-sainte « stabilité des prix », ont fréquemment ignoré la stabilité sociale. Entre 2009 et 2022, la création monétaire a gonflé les bilans des grandes places financières, tandis que le pouvoir d’achat diminuait. En privant la Fed et la BCE de leur monopole, l’exécutif américain affirme qu’il veut rendre à la monnaie sa fonction de lien social plutôt que d’arme de marché ; promesse audacieuse, certes, mais qui résonne dans une opinion mondiale lassée de l’inflation et des bulles d’actifs.
Ce qui pourrait se jouer dès le 6 mai
Le prochain FOMC (Le Federal Open Market Committee), prévu les 6-7 mai, sera scruté comme jamais. Si Powell abaisse le taux directeur, il donnera l’impression de céder ; s’il temporise, il fournira à Trump le prétexte pour accélérer son offensive institutionnelle. Les marchés, déjà habitués aux tweets du président, s’accommodent de cette incertitude : le S&P 500 grappille, le dollar recule, bref, rien qui ressemble à la panique. Dans les coulisses, cependant, la Réserve fédérale fait face à une crise interne : plusieurs présidents de banques régionales redoutent que la Maison-Blanche ne leur retire la tutelle de la régulation bancaire, préalable indispensable à la refonte monétaire.
Le point de bascule mondial
Le cœur du dossier n’est pas la technique, mais la légitimité. En 1913, le Congrès a délégué le pouvoir d’émettre la devise nationale à un système semi-privé pensé pour protéger les créanciers. Un siècle plus tard, les citoyens découvrent que cette architecture archaïque pénalise les travailleurs et enrichit les rentiers. Trump surfe sur cette prise de conscience : « Nous finançons nos voisins sans qu’ils financent nos emplois. » Les dirigeants européens, eux, s’inquiètent déjà d’une vague de protection industrielle contagieuse.
On saura bientôt si la Cour suprême valide la reprise en main de la Fed, si Powell consent à baisser les taux, ou si l’Exécutif passe à l’étape suivante : instaurer un Trésor élargi, contrôlant directement l’émission monétaire. Une chose est certaine : l’onde de choc ne s’arrêtera pas aux frontières américaines. Qu’on l’applaudisse ou qu’on la redoute, la révolution monétaire initiée à Washington redistribuera pouvoir de fixation des prix, flux de capitaux et hiérarchie des devises.
En braquant le projecteur sur les faillites d’un modèle centenaire, Donald Trump et Kash Patel obligent le monde à repenser la monnaie autrement que comme un simple outil de banque centrale. Le débat est lancé ; il était temps de sortir des couloirs feutrés pour placer la souveraineté économique au centre du contrat social international.
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Source : NRP, CBS News, The Guardian, Reuters