Inflation : fin de la politique de taux zéro du Japon, quelle incidence en France ?

Modifié le - Auteur Par Nantcy L -
Inflation : fin de la politique de taux zéro du Japon, quelle incidence en France ?

INTERVIEW. Ces derniers jours, les marchés ont tremblé. Après avoir résolument mené une politique de taux proches de zéro durant des années, la Banque du Japon a assoupli son contrôle des obligations publiques japonaises. Ce début de « resserrement de sa politique monétaire », a propulsé le Yen de plus de 3 %. Que va engendrer cette réforme en Europe et en France ? Analyse de Philippe Herlin, économiste et essayiste.

L’inflation aura-t-elle raison de la politique monétaire du Japon ? Si les grandes banques centrales du monde relèvent rapidement leurs taux pour lutter contre la hausse de l’indice des prix à la consommation qui ébranlent leurs économies, jusqu’ici, la Banque du Japon (BoJ) a résolument défendu une politique de taux zéro. Mais « avec 22 % de ses importations 2021 consacrées aux combustibles, le Japon est le pays avancé dont le commerce extérieur est le plus sensible aux cours énergétiques », pointe la Direction générale du Trésor dans son bilan macro-économique du Japon. Face à l’accélération de l’inflation, aux écueils du yen faible et à l’indiscipline fiscale de l’État, la Banque du Japon, gardienne du Yen, change de stratégie. Pour la première fois depuis sa prise de pouvoir il y a plus de dix ans, le gouverneur Haruhiko Kuroda a annoncé un assouplissement des taux obligataires japonais. Et ce, malgré la menace que cela peut représenter pour le financement de la dette japonaise, qui s’appuie sur l’achat quasi illimité des obligations d’État par la BoJ. La dette japonaise est en effet la plus élevée au monde, à 264 % PIB en 2022. « C’est le record absolu des pays de l’OCDE et le double de la France », nous indique l’économiste Philippe Herlin. Ainsi, toute hausse des taux d’intérêt pourrait avoir un effet majeur sur le service de la dette, qui se monte actuellement à 24,3 Tns ¥/175 Mds€.

Fin de la dette illimitée du Japon : bref affolement des marchés

Les créances de l’État japonais à 10 ans, jusqu’ici plafonnées à 0,25 %, vont désormais pouvoir fluctuer entre – 0,5 % et + 0,5 % de rendement, ce qui a surpris les investisseurs.

Fin de la dette illimitée du Japon : des achats massifs de la monnaie japonaise

Mardi 20 décembre, à la suite de l’annonce surprise de la Banque du Japon, le taux obligataire à 10 ans japonais était de 0,47 %, soit son plus haut niveau depuis 2015. Le yen a bondi de près de 4 % (131,73 yens pour un dollar) avant de chuter à 132,20 yens pour un dollar mercredi. Les investisseurs, qui s’attendaient à un épisode de resserrement des taux japonais et de hausse durable du yen ont alors acheté massivement de la monnaie japonaise. Il semblerait toutefois qu’ils aient mal interprété l’action de la BoJ.

Fin de la dette illimitée du Japon : « Ce n’est pas une hausse de taux »

L’institution assure que sa politique monétaire ne va pas changer. « Ce n’est pas une hausse de taux », a martelé le gouverneur Haruhiko Kuroda au cours d’une conférence de presse. La gardienne du Yen souhaite conserver un cap monétaire ultra accommodant afin de soutenir l’économie nippone. Objectif, stabiliser la hausse des prix autour de 2 %.

Pourtant, comme le note Philippe Herlin, « un modèle d’État qui s’endette pour relancer la croissance ne fonctionne pas. Cela permet uniquement de gagner du temps ».

Dette illimitée du Japon : ce n’est pas si grave ?

« Depuis les années 90, le Japon accumule les déficits budgétaires. Les autres pays se disent alors que ce n’est pas si grave de créer de la dette. Mais, tous les facteurs ne sont pas pris en compte », prévient l’expert.

Japon : fin de l’excédent commercial

« Si le Japon est très mauvais sur le plan des dépenses publiques et de la dette, son économie très performante, compétitive et créatrice, lui a permis de maintenir le cap durant de nombreuses années et de rester une grande puissance économique. Car, les produits japonais se vendent dans le monde entier. Cet excédent commercial a permis au yen de ne pas trop perdre de valeur, et de contenir l’inflation grâce aux gains de productivité. Or, cette configuration touche à sa fin », prévient l’essayiste. Déficit budgétaire, population vieillissante… La bonne santé de l’économie japonaise ne permet plus de compenser un tel déficit. La balance commerciale est à présent tout juste à l’équilibre et l’inflation s’envole depuis le début 2022 (4 %, un taux considéré comme très élevé là-bas). L’inflexion va être déterminante », analyse-t-il.

Politique de taux zéro : gare à l’inflation importée

Comme le souligne Philippe Herlin, « le Japon est complètement dépendant pour son énergie et les matières premières. Il lui est donc impossible d’échapper à la montée des prix mondiaux. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le yen a dévissé par rapport au dollar, ce qui a rajouté de l’inflation importée. Sa politique monétaire a de ce fait été resserrée. Ce qu’une prouve encore une fois que, « la planche à billets éternelle, ça ne fonctionne pas ». D’autres décisions du même genre pourraient ainsi avoir lieu dans les prochains mois.

L’expert en économie juge qu’il va être difficile de revenir à un équilibre budgétaire et se demande s’il n’est pas trop tard pour inverser la tendance. « Le paiement des intérêts va absorber toutes les recettes. En France, le taux à 10 ans a atteint les 3 %. Si on imagine 3 % sur la dette japonaise, étant donné que c’est 240 % du PIB, cela revient à environ 8 % du PIB pour le simple remboursement des intérêts de la dette, c’est énorme ! », pointe-t-il. Le tout payé par le budget de l’État. Avoir un équilibre dans ces conditions est impossible. C’est en ce sens que « le Japon va nous servir de témoin, de cobaye. Nous allons observer s’il arrive à inverser la tendance, à diminuer son déficit budgétaire, à remonter tout doucement ses taux sans faire exploser le budget de l’État… Si tel n’est pas le cas, nous n’y parviendrons pas non plus.

Économie et inflation : le Japon est comparable à l’Europe

« Via cette situation au Japon, nous allons nous rendre compte que la dette a un coût et qu’il faut la payer : soit par les recettes publiques, soit l’inflation qui ruine les épargnants (équivalente à un impôt, une taxe sur l’épargne).

D’autant que « le Japon a une situation assez comparable à l’Europe, dans la mesure où, comme ce pays, nous sommes très dépendants pour l’énergie et les matières premières. Ce qui pose un grave problème. Car, même si des efforts sont effectués en interne (retour à l’équilibre budgétaire, remontée des taux d’intérêt, …) cela ne va pas servir à grand-chose du fait de flambée des prix du gaz et du pétrole. Comme indiqué précédemment, nous aurons de l’inflation importée puisque les matières premières et l’énergie sont payées en dollars. Ainsi, si le yen et l’euro baisse, c de l’inflation rapportée. Et il n’y a pas de raison que cela s’arrête. Il peut y avoir des pauses du fait du remplissage des stocks en Europe, mais dès épuisement de ces derniers, ça va remonter.

Économie et inflation en Europe : fin de l’énergie bon marché

« Si le prix du pétrole est aujourd’hui plus sage, il peut vite repartir à la hausse. Il n’y aura plus d’énergie bon marché, prévient Philipe Herlin. La crise énergétique va revenir l’année prochaine et aussi en 2024. Dans le même temps, la dette continue, et la BCE remonte ses taux moins vite que la FED. Cela peut devenir très compliquée dans les années à venir. Le Japon, actuellement en mauvaise posture, va nous servir d’indicateur », conclut-il.

Le sujet est traité longuement sur le site or.fr où Philippe Herlin explique que nous faisons face probablement face à la fin du modèle économique japonais

Par Nantcy L

Journaliste plurimedia depuis 15 ans, je m'intéresse à différents univers : économie, lifestyle, société, culture, psycho & développement personnel... Pour Comparateurbanque.com je vous livre, à l'aide d'experts, des conseils pour mieux gérer votre argent.

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