La chute de Porsche et l’automobile européenne face à l’addition du tout‑électrique

Publié le - Auteur Par Tony L. -
La chute de Porsche et l’automobile européenne face à l’addition du tout‑électrique

L’industrie auto européenne encaisse coup sur coup. Les chiffres, les retards produits, la pression réglementaire et désormais le choc des droits de douane américains poussent des constructeurs établis à revoir en profondeur leurs plans. Même Porsche, longtemps modèle de rentabilité, abaisse ses ambitions et taille dans ses coûts. À force d’aligner objectifs d’électrification, injonctions climatiques et paris industriels hasardeux, le secteur se retrouve coincé entre la demande réelle des clients, des chaînes d’approvisionnement fragilisées et une compétition internationale féroce, notamment chinoise.

Ce que disent les chiffres chez Porsche

Le constat est clair chez Porsche. En 2024, les livraisons mondiales ont reculé de 3% à 310 718 véhicules, avec une dégringolade de 49% pour la Taycan, le modèle 100% électrique. Au premier semestre 2025, les volumes globaux reculent encore d’environ 6% par rapport à 2024, malgré un premier semestre record aux États‑Unis, preuve d’un marché devenu très hétérogène selon les régions. La marque a déjà annoncé la suppression d’environ 1 900 postes en Allemagne d’ici 2029, sans licenciements secs mais via départs non remplacés et aménagements d’effectifs.

Le 30 juillet 2025, le groupe a abaissé sa guidance financière. Le retour sur ventes attendu pour 2025 est désormais ramené entre 5% et 7%, contre 6,5% à 8,5% auparavant, en raison d’un cumul de charges : impact direct des tarifs américains, coûts de restructuration, investissements spécifiques sur les batteries et ralentissement en Chine. Un mémo interne du directeur général Oliver Blume a été largement relayé : « le modèle économique qui nous a bien servi pendant des décennies ne fonctionne plus sous sa forme actuelle ». Ce langage inhabituel chez Porsche résume la gravité du moment.

Le pari produit mal calibré

Les difficultés ne tiennent pas qu’au cycle économique. Elles renvoient à une trajectoire produit devenue incohérente avec le marché. Les 718 Boxster et Cayman thermiques vont s’arrêter en 2025, alors que leurs remplaçantes électriques sont repoussées à 2027. Entre‑temps, la gamme perd de l’attractivité dans ce créneau. La Cayenne électrique est toujours annoncée mais sa fenêtre de lancement s’est éloignée. Le Macan : l’ancienne version thermique a été retirée d’Europe à la mi‑2024 à cause d’un nouveau cadre de cybersécurité, laissant l’électrique seul en vitrine sur le continent, alors que des clients demeurent attachés au thermique ou à l’hybride.

Signe d’un rétropédalage discret mais réel, Porsche a cessé de s’accrocher à l’objectif public d’atteindre plus de 80% de ventes entièrement électriques en 2030. La direction parle désormais de « flexibilité », conditionnée à la demande. Dans les coulisses, l’arrêt brutal du champion européen des batteries Northvolt au printemps 2025 a dégradé la visibilité sur les approvisionnements haut de gamme. Résultat, des projets repoussés, des investissements réalloués et la marque envisage de réinjecter des motorisations thermiques ou hybrides sur des plateformes initialement pensées « full EV ».

Un cadre politique européen contraignant et mouvant

L’Union européenne a fixé une norme très exigeante : à partir de 2035, les nouvelles voitures mises sur le marché ne devront plus émettre de CO₂ au pot d’échappement, avec une exception encadrée pour les e‑fuels. En parallèle, Bruxelles a décidé à l’automne 2024 de surtarifer les voitures électriques importées de Chine, jusqu’à 45% selon les marques, pour répondre à un afflux de modèles subventionnés. Malgré ces barrières, les marques chinoises continuent de gagner du terrain en Europe sur les segments électriques abordables.

Côté demande, l’électrique progresse mais moins vite que ce qu’anticipaient les plans industriels. Sur le premier semestre 2025, les voitures électriques à batterie représentent 15,6% des immatriculations dans l’UE alors que que ces véhicules sont subventionnés et avantagés. C’est un palier non négligeable mais insuffisant pour absorber à marche forcée des plans produits « tout‑électrique » dans le haut de gamme. Le risque est bien connu : surinvestir dans des gammes où la clientèle est plus hésitante, alors que l’hybride rechargeable et l’hybride simple captent une part croissante des achats.

Le choc tarifaire transatlantique

La situation s’est encore tendue avec l’accord USA‑UE annoncé fin juillet 2025. En effet un droit de douane général de 15% s’appliquera à la plupart des exportations européennes vers les États‑Unis, automobiles comprises, à compter du 1er août. Il évite des taux plus élevés un temps brandis à Washington, mais reste lourd pour les marques allemandes très exposées au marché américain. Plus problématique encore pour les coûts, les droits sur l’acier et l’aluminium importés sont montés à 50% aux États‑Unis. Pour un constructeur premium, cela renchérit à la fois les voitures expédiées depuis l’Europe et, le cas échéant, la production locale si la matière première n’est pas d’origine américaine.

L’accord USA‑UE ajoute une contrainte inédite et incroyable, l’Europe s’est engagée à acheter 750 milliards de dollars d’énergie américaine sur trois ans et à investir 600 milliards aux États‑Unis d’ici 2028. Plusieurs analyses jugent ces montants très difficiles à atteindre, car les importations énergétiques de l’UE en provenance des États‑Unis pesaient moins de 80 milliards de dollars en 2024. Ne pas tenir ces promesses exposerait l’UE à un relèvement des tarifs. Le cadre transatlantique, censé sécuriser, accroît donc l’incertitude.

Qui porte la responsabilité de l’ornière actuelle ?

Les critiques visent d’abord Bruxelles : objectifs climatiques accélérés, calendrier serré, normes empilées, puis volte‑faces partielles (e‑fuels, droits anti‑subventions) qui brouillent les signaux. Le problème est que les directions générales ont délibérément opté entre 2020 et 2023 pour des portefeuilles « tout‑électrique » afin d’anticiper la règle et de séduire les marchés financiers. Le pari reposait sur une montée en cadence fluide des batteries en Europe, une baisse rapide des coûts, une infrastructure de recharge densifiée et une clientèle prête à basculer vite sur le haut de gamme électrique. Mais comment des marques d’excellences, dirigées par des individus de très haut niveau ont elles pu se cacher une réalité aussi peu favorable ? Coûts d’énergie en constante hausse en Europe, fournisseur clé de batteries avec risque de faillite liée à un marché de niche, concurrence chinoise agressive, et consommateurs plus attirés par le thermique ou l’hybride meilleur marché.

Les chiffres d’emploi chez les équipementiers racontent la même histoire. En 2024, les coupes nettes ont atteint des niveaux inédits depuis la pandémie. Les fédérations de fournisseurs préviennent depuis des années qu’un scénario « EV‑only » mal séquencé détruit plus d’emplois qu’il n’en crée à court terme, si la chaîne batterie‑matériaux ne s’implante pas en Europe. Loin d’un débat théorique, ces ajustements frappent l’Allemagne, l’Italie et l’Europe centrale, où l’écosystème thermique est dense.

Porsche n’est pas seul à reculer sur l’électrique

Le cas Porsche s’inscrit dans une tendance plus large. Ford anticipe encore autour de 5 milliards de dollars de pertes en 2025 sur sa division électrique après − 5,1 milliards en 2024. Honda a réduit d’environ 30% son enveloppe d’investissements dans l’électrification et le logiciel, le constructeur prévoit 13 nouveaux hybrides d’ici 2027 et revoit son mix 2030. Même sur des marques de niche, des signaux apparaissent, comme chez Abarth qui étudie un retour au thermique sur certains modèles après l’accueil mitigé de ses petites électriques. Ces mouvements ne signent pas l’arrêt de l’électrique, mais confirment que le marché demande la continuité du thermique et la liberté de choisir son type d’énergie sans être influencé ou forcer d’en choisir un en particulier.

Les conséquences pour Porsche, les investisseurs et les acheteurs

Pour Porsche, l’addition est double. À court terme, la chute de la Taycan pèse sur les marges, les retards des 718 électriques créent un trou commercial et l’accord tarifaire rogne la profitabilité aux États‑Unis. À moyen terme, la marque doit rééquilibrer son offre : sécuriser ses piliers (911, Panamera, Cayenne) en thermique et hybride performants, réussir la nouvelle génération de PHEV, cibler des électriques à forte valeur d’usage, et éviter de multiplier les « lancements vitrines » qui diluent les budgets. Un point technique majeur s’impose : standardiser davantage les plateformes multi‑énergies pour basculer la production selon la demande, à l’image des stratégies plus prudentes menées par BMW.

Pour les investisseurs particuliers, c’est un rappel utile car les valeurs auto premium restent cycliques, sensibles aux politiques commerciales, aux coûts de l’énergie et aux cycles produits. Un indicateur à suivre dans vos allocations actions ou ETF sectoriels : l’évolution des marges opérationnelles guidées, trimestre après trimestre, et la capacité à générer du cash‑flow après investissements « EV ». Côté acheteurs, les dépréciations observées sur les modèles électriques génèrent des opportunités sur le marché de l’occasion… mais avec vigilance sur l’état de batterie, le coût de l’assurance, et la valorisation de ses modèles dans quelques années.


Références : newsroom.porsche.com, reuters.com, bloomberg.com, wsj.com, ft.com, caranddriver.com, acea.auto, electrek.co, motor1.com, csis.org, spglobal.com, europarl.europa.eu, euronews.com, politico.eu, apnews.com, just-auto.com, morningstar.com, investing.com, kpler.com, enerdata.net, energyintel.com

Par Tony L.

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