DeepSeek, une startup chinoise, défie OpenAI, le géant américain de l’intelligence artificielle. Son modèle open-source, DeepThink R1, aussi performant que GPT-4 d’OpenAI selon ses créateurs, mais développé à moindre coût, relance les débats sur l’efficacité, l’innovation et la future domination mondiale dans l’IA. Mais ce challenger peut-il vraiment menacer la suprématie d’OpenAI, ou son ascension n’est-elle qu’un épiphénomène dans un marché longtemps contrôlé par les États-Unis ?
L’histoire de David contre Goliath
Le principal argument de DeepSeek réside dans son efficacité financière exceptionnelle. La société affirme avoir dépensé seulement 5,58 millions de dollars pour concevoir et entraîner DeepThink R1, une somme dérisoire comparée aux milliards de dollars investis par OpenAI. Ce fossé alimente les interrogations sur le gaspillage potentiel des entreprises occidentales et leur gestion des ressources.
Les rapports financiers d’OpenAI pour 2024 révèlent des dépenses de 8,5 milliards de dollars pour l’entraînement de ses modèles, financés par une levée de fonds de 5 milliards la même année. Face à cela, DeepSeek affirme fonctionner avec seulement 10 000 GPU Nvidia A100, contre des centaines de milliers de puces H100, plus performantes et coûteuses, utilisées par OpenAI.
Ce contraste n’a pas échappé aux investisseurs. Le 27 janvier 2024, le S&P 500 et le Nasdaq ont ouvert en baisse de 2% et 3%, respectivement, reflétant les craintes d’une surévaluation des tech américaines. Si un concurrent étranger atteint des résultats similaires avec des ressources minimales, la valeur des géants de la Silicon Valley pourrait être remise en question.
Bras de fer sur la propriété intellectuelle
OpenAI reproche à DeepSeek d’avoir utilisé, sans autorisation, certains éléments du modèle propriétaire de ChatGPT pour concevoir son propre chatbot, ce qui soulève de nombreuses questions autour de la protection des algorithmes et de la confidentialité des données d’entraînement. Selon les informations divulguées, la start-up chinoise aurait intégré des fragments de code ou de paramètres techniques relevant des recherches d’OpenAI, alors que ces ressources sont normalement soumises à des règles de licence très strictes.
Si ces soupçons se confirment, DeepSeek risque d’être confronté à des actions en justice qui pourraient freiner son développement, notamment sur le marché américain déjà sensible à toute forme de violation de propriété intellectuelle. De son côté, l’entreprise fondée par Sam Altman entend défendre vigoureusement ses droits et affirme détenir des preuves solides. DeepSeek maintient qu’elle a conçu son modèle de manière indépendante, mais n’a pas encore dévoilé tous les détails techniques pour étayer cette version. Le litige n’en est qu’à ses débuts et pourrait bien donner lieu à une bataille juridique aux répercussions importantes pour l’ensemble du secteur de l’IA.
Open-source contre écosystèmes fermés
Le modèle open-source de DeepSeek contraste radicalement avec l’approche propriétaire d’OpenAI. Là où OpenAI verrouille ses fonctionnalités avancées derrière des abonnements payants, DeepSeek offre aux développeurs un accès libre à son code source, permettant des personnalisations, des déploiements locaux et des expérimentations sans frais. Cette démocratisation séduit particulièrement les start-ups et les créateurs indépendants.
Une étude comparative de Bernstein Research souligne l’avantage tarifaire de DeepSeek : son API coûterait 80 à 90% moins cher que celle d’OpenAI. Traiter un million de tokens coûterait environ 0,50$ avecDeepSeek, contre 5 à 10$ pour OpenAI. Cette stratégie agressive vise à attirer une communauté de développeurs dont les innovations pourraient propulser l’adoption du modèle chinois.
« Les développeurs sont l’épine dorsale des écosystèmes d’IA », explique Li Wei, chercheur en IA basé à Pékin. « En leur offrant des outils abordables, DeepSeek ne vend pas un produit : elle construit un écosystème loyal, capable de dépasser les systèmes fermés à long terme ». Mais souvenons nous également de l’adage : « Si le produit est gratuit, alors vous êtes le produit ».
Les affirmations de DeepSeek sont-elles crédibles ?
Certains acteurs du secteur doutent de la véracité des chiffres avancés par DeepSeek. Alexandr Wang, PDG de Scale AI, estime que la startup utiliserait au moins 50 000 GPU Nvidia H100, alignant ses coûts d’infrastructure sur ceux des entreprises américaines de taille moyenne. D’autres soupçonnent DeepSeek de minimiser ses dépenses pour contourner les restrictions américaines sur l’exportation et l’utilisation de technologies avancées (cf. le transit présumé de puces Nvidia via Singapour).
Elon Musk a appuyé ces critiques, tweetant : « Si ça semble trop bon marché, c’est probablement le cas. Les coûts de calcul en IA ne sont pas une blague. » Ces doutes soulèvent des questions sur d’éventuelles subventions étatiques ou partenariats occultes, stratégies courantes chez les entreprises chinoises. Par ailleurs, la scalabilité réelle du modèle et sa performance dans des applications concrètes restent à prouver.
L’adoption par les utilisateurs
Pour le grand public, DeepSeek ne change pas la donne. La majorité des utilisateurs interagissent avec l’IA via des chatbots ou des outils de recherche, où ChatGPT conserve un avantage en termes de notoriété et d’ergonomie. « Les gens ne se soucient pas de l’open-source ou des coûts, mais des résultats », souligne Sarah Chen, analyste tech à San Francisco. « Sans une expérience nettement supérieure, ils n’ont aucune raison de changer. »
En revanche, les développeurs et entreprises perçoivent DeepSeek comme une révolution. Un fondateur de start-up berlinoise témoigne : « Avec DeepSeek, nous économisons des milliers d’euros mensuels sur les coûts d’API. Cela nous permet de réinvestir dans le développement. » Cet avantage économique pourrait grignoter progressivement les parts de marché d’OpenAI, notamment en Asie du Sud-Est ou en Afrique, où les budgets sont serrés.
La rivalité sino-américaine s’intensifie
L’ascension de DeepSeek est un des reflets de la course à l’armement technologique entre les États-Unis et la Chine. Si les géants américains comme OpenAI, Google ou Anthropic trustent les manchettes, les entreprises chinoises, soutenues par des fonds publics et un marché intérieur colossal, rattrapent leur retard. DeepSeek prouve que la Chine peut produire une IA compétitive sans dépendre des frameworks occidentaux.
Sam Altman, PDG d’OpenAI, relativise la menace : « Imiter un pionnier est plus facile que d’innover. » Pourtant, l’histoire montre que les premiers arrivés ne triomphent pas toujours. Les navigateurs comme Netscape ont été éclipsés par des alternatives plus rapides et accessibles (Chrome, Firefox). DeepSeek pourrait reproduire ce scénario en séduisant un public international lassé des coûts élevés et des écosystèmes fermés.
Efficacité contre puissance de frappe
La question centrale est de savoir si l’efficacité de DeepSeek peut rivaliser avec l’ampleur et la notoriété d’OpenAI. Les partenariats d’OpenAI avec Microsoft et son accès à des masses de données constituent des barrières difficiles à franchir. Mais l’approche minimaliste de DeepSeek suggère une nouvelle ère, où des acteurs agiles utilisent l’open-source pour défier les leaders établis.
Pour OpenAI, la réaction sera intéressante à observer : baisser ses tarifs, ouvrir une partie de son code ou accélérer l’innovation. Comme le résume Ming Zhao, investisseur en capital-risque, « La course à l’IA ne se gagne pas en dépensant le plus, mais en innovant intelligemment. DeepSeek montre que sobriété et ouverture peuvent être révolutionnaires. La balle est désormais dans le camp d’OpenAI. »
Alors que le duel se poursuit, les grands gagnants pourraient être les développeurs et les entreprises, bénéficiant d’un marché de l’IA plus compétitif et diversifié. La disruption n’est pas à venir : elle est déjà là.