Un Européen sur deux pourrait voir ses données financières entièrement accessibles à des tiers sous couvert de modernité numérique et d’open finance. Ce chiffre effraie autant qu’il réveille une vigilance indispensable face à l’intrusion massive orchestrée par Bruxelles. Derrière la façade d’un progrès technologique, c’est la liberté financière et la souveraineté des épargnants qui basculent.
Un élargissement sans précédent du périmètre des données
Entrée en scène en juin 2023, la proposition de règlement Financial Data Access dite Fida s’inscrit pleinement dans la stratégie de finance numérique de l’Union européenne. Là où la DSP2 se limitait aux paiements, Fida change radicalement d’échelle. L’ouverture s’étend aux assurances, investissements, crédits immobiliers, épargne, instruments financiers et même crypto-actifs. En 24 mois, les premiers compartiments d’épargne, crédits à la consommation et assurances auto devront être accessibles. En 36 mois, ce sera au tour des prêts immobiliers et des actifs numériques. En 48 mois, les notes de crédit, l’assurance non-vie et l’épargne assurantielle.
Ce phasage installe une mécanique progressive qui finit par embrasser un portrait patrimonial quasi complet des ménages européens. Chaque flux, chaque contrat, chaque actif devient une brique de données circulante. Derrière la promesse d’innovation, l’Union organise un réseau standardisé de captation, où la donnée personnelle n’est plus qu’une ressource exploitable, et de fait contrôlable.
Consentement ou illusion de contrôle
Officiellement, le client reste maître de ses informations. Tableaux de bord, droits de retrait, transparence affichée. Dans la réalité, ce dispositif se transforme en illusion de contrôle. Les interfaces se multiplient, le consentement devient répétitif et épuisant, les parcours utilisateurs incitent à cliquer sans lire.
À terme, refuser l’accès reviendra à payer plus cher un crédit ou une assurance. Le consentement cesse d’être un choix libre pour devenir un ticket d’entrée conditionnel. L’usager se retrouve piégé entre deux options : livrer ses données pour obtenir des conditions compétitives ou les protéger au prix d’une pénalisation tarifaire. C’est le cœur même de la liberté contractuelle qui se fissure et l’émergence du crédit social.
Big Tech exclues ? Un ajustement tardif
Face aux critiques, Bruxelles a tenté un rétropédalage en juin 2025. Amendements, limitation des durées de conservation des données, éventuelle exclusion des Gafam. Mais le mal est déjà fait. Les infrastructures technologiques de captation se déploient, les passerelles entre institutions s’installent, et les routines d’accès se figent.
Ces ajustements tardifs ressemblent à des paravents politiques. Ils rassurent sur le papier mais ne touchent pas au fond du problème : l’existence même d’une architecture européenne qui rend normal le partage massif des données patrimoniales.
Les risques pour la souveraineté numérique européenne
La question n’est pas seulement celle de la vie privée, mais de la souveraineté. Les données financières, organisées en flux exploitables, deviennent un trésor économique. Qui capte ces flux contrôle des pans entiers de l’économie numérique.
L’Europe prétend exclure certains acteurs systémiques, mais la réalité des marchés favorise les plateformes capables d’absorber les coûts de conformité et d’opérer à grande échelle. Ces plateformes sont rarement européennes. Résultat, une dépendance accrue aux intermédiaires étrangers pour l’agrégation, le stockage et la monétisation des données.
Un risque concret est déjà identifié : la démutualisation dans l’assurance. Des acteurs structurés, armés de données ultra-ciblées, ne sélectionneraient que les clients les plus rentables. Les profils fragiles, laissés aux assureurs traditionnels, se verraient appliquer des tarifs prohibitifs. Le principe de solidarité, colonne vertébrale du secteur, se délite au profit d’une logique darwinienne.
Bruxelles impose la norme selon son calendrier
Derrière ce projet, le calendrier est implacable. Décembre 2024, adoption par le Conseil d’un déploiement progressif. Février 2025, réintégration de Fida au programme législatif malgré des critiques croissantes. Juin 2025, trilogue décisif.
Chaque étape rapproche l’Europe d’une architecture irréversible. Plus les institutions financières investissent dans les interfaces et schémas de partage, plus l’abandon du projet devient improbable. L’histoire montre qu’une fois en place, ces dispositifs servent souvent à d’autres finalités, justifiées par la lutte contre la fraude ou la stabilité financière. Le danger est là : transformer un outil présenté comme utile en infrastructure de surveillance douce.
Fida, vecteur d’un contrôle insidieux
Sous prétexte d’innovation, Fida organise la circulation des données selon des schémas imposés. Les banques pourront exiger une rémunération raisonnable pour l’ouverture de leurs interfaces. La donnée est ainsi officiellement monétisée, transformée en actif négociable. Les nouveaux entrants construisent leurs modèles sur l’exploitation de ce flux, tandis que les acteurs historiques protègent leurs marges par le prix d’accès.
Le consommateur, de son côté, devient fournisseur de signaux. Chaque dépense, chaque retard, chaque contrat d’assurance alimentent des modèles invisibles qui décident de son profil de risque ou de son pouvoir de négociation. La liberté financière ne se limite plus à posséder ses actifs, elle dépend désormais de la capacité à contrôler les signaux produits malgré soi.
Une défense insuffisante des consommateurs
Le discours bruxellois repose sur l’empowerment. Davantage de choix, plus de transparence, des services personnalisés. Mais ce récit masque une réalité : la complexité du consentement éclairé et la faiblesse des garde-fous concrets. Multiplier les permissions à lire n’équivaut pas à protéger les usages.
Ce qu’il faudrait, ce sont des limitations strictes : durée légale de conservation courte, transparence simplifiée des usages, vérification systématique des tiers, sanctions lourdes en cas d’abus. Or, la version actuelle du texte se contente de promesses générales qui laissent la porte ouverte à l’exploitation.
Repenser la souveraineté financière individuelle
Dans ce contexte, les citoyens doivent réclamer des garde-fous renforcés. L’exclusion réelle et non théorique des plateformes non européennes. Un périmètre réduit aux données strictement nécessaires. La portabilité encadrée et réversible. Des sanctions exemplaires pour tout acteur qui détournerait les flux.
Sans ces protections minimales, Fida n’est pas un progrès, mais une arme légale de contrôle. Un instrument qui fragilise la liberté financière au lieu de la renforcer. L’Europe ne peut pas transformer ses citoyens en simples sources de données marchandables ni exposer ses secteurs stratégiques à des forces extérieures.
Un cheval de Troie du crédit social
Fida apparaît comme une manœuvre européenne de discipline financière, déguisée en modernisation. Derrière l’argument de l’innovation, c’est un cheval de Troie. Les libertés individuelles, le pouvoir d’achat et la souveraineté sont en jeu. Agir signifie refuser le consentement généralisé, exiger la limitation du périmètre et bloquer l’ingérence des géants technologiques. Faute de quoi, la promesse d’émancipation se retournera en contrôle généralisé qui affaiblira encore un peu plus la liberté financière des citoyens européens.
Sources : lesechos.fr, deloitte.com, bnpparibas.com, ec.europa.eu, stripe.com, ey.com, capco.com, blog.axway.com, lemonde.fr